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« si des gouverneurs corrompus ne favorisaient la traite qu’ils sont chargés de réprimer. » M. Cochin dénonçait tout cela en 1861 ; la situation présente de Cuba, la guerre qui la désole et qui finira un jour ou l’autre par la livrer aux États-Unis, n’ont que trop justifié ses prévisions.

M. Cochin ne se bornait pas à dénoncer le mal ; avec cette vertu agissante qui est le trait distinctif de son esprit, il organisait des comités, soulevait l’opinion à la manière anglaise, intéressait les gouvernemens et les peuples à la destruction du fléau. Ce livre sur l’esclavage venait de le faire entrer à l’Académie des Sciences morales et politiques. Comme il était de ceux qui donnent davantage à mesure qu’ils s’enrichissent, il voulut que cet accroissement d’autorité tournât au profit de ses cliens. On le vit redoubler de zèle et de généreuse passion. La grande crise des États-Unis, l’assassinat d’Abraham Lincoln, la guerre du nord et du sud, fournirent à son activité des occasions nouvelles. Bien des hommages ont été rendus à Lincoln dans notre France, je n’en connais pas de plus touchant que celui d’Augustin Cochin. Par-dessus les barrières des églises, le catholique tendait une main fraternelle au protestant, honorant en lui le courageux homme d’état et le chrétien digne des premiers âges. Le comité formé à Paris sous la présidence de M. Edouard Laboulaye pour l’abolition de l’esclavage n’a pas eu de collaborateur plus ardent et plus efficace que M. Augustin Cochin ; personne n’a eu plus grande part aux résultats obtenus. Ce fut là, parmi tant de déceptions politiques, une des sérieuses consolations de sa vie. il avait en 1861 adressé d’éloquens appels au gouvernement du Brésil pour l’encourager à détruire l’esclavage ; dix ans plus tard, au milieu de nos angoisses patriotiques, il eut la joie d’apprendre que sa voix avait été entendue, et il s’empressa d’annoncer ici même cette grande nouvelle[1]. La comtesse d’Eu, régente du Brésil pendant le voyage en Europe de son père l’empereur dom Pedro II, avait promulgué le 28 septembre 1871 une loi importante en faveur de l’émancipation des esclaves. Cette loi, sans supprimer immédiatement l’esclavage, le condamnait à disparaître dans un délai certain. S’il restait encore trop de malheureux enfermés dans leur condition passée, on savait du moins qu’il ne naîtrait plus un seul esclave sur la terre brésilienne. Une loi de transition laisse toujours quelques regrets ; comment ne pas se réjouir pourtant d’une pareille victoire, surtout quand la promesse de la loi est entourée de si hautes garanties ? L’empereur dom

  1. Voyez, dans la Revue du Ier décembre 1871, les pages intitulées l’Abolition de l’esclavage au Brésil.