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préfecture de Versailles. M. Cochin a donc été un des principaux auteurs de cette loi de 1850, qui a fondé en France la liberté de l’enseignement secondaire, loi excellente qui, malgré les alarmes des esprits routiniers et les clameurs des partis intolérans, a profité à tout le monde, à l’enseignement public comme à l’enseignement privé, ainsi que le fera toujours la liberté légale unie aux conditions de l’ordre. Il en sera de même pour l’enseignement supérieur, si ces conditions de l’ordre ne sont pas séparées de la liberté que nous réclamons tous, et si la collation des grades est maintenue, comme par le passé, aux mains désintéressées de l’état.

Les événemens politiques ne permirent pas à M. Cochin de poursuivre ses succès sur un plus grand théâtre. Il a parlé de ces déconvenues avec un mélange de tristesse et de résignation souriante dont il est impossible de ne pas être touché. « Quand nous faisions notre droit, écrit-il à un des compagnons de sa jeunesse, nous avions des rêves, les pensées les plus généreuses, l’esprit en feu, l’ardeur la plus impatiente. Jugeant et gouvernant le monde par des conversations, nous nous figurions le juger et le gouverner en effet, et lorsque entre la barrière de l’Étoile et la place de la Concorde nous avions parlé philosophie, politique, droit et religion, nous nous figurions être des philosophes, des politiques, des jurisconsultes et des théologiens. La société devait nous accepter comme tels et nous ouvrir les bras au lendemain de notre dernière thèse ; elle ne l’a pas fait, nous nous trompions. Nous aurions dû commencer une carrière ou une étude pas à pas au lieu de penser l’escalader et commencer par en haut. Il eût mieux valu prendre la carrière de nos pères, embrasser une étude spéciale que de vouloir tout de suite avoir quarante ans sans passer par vingt-cinq ans : nous avons tous en effet quarante ans, mais nous y resterons vingt ans jusqu’à ce que tout le monde s’en aperçoive. Notre rôle est maintenant de nous remettre dans un chemin battu et de le suivre ; nous y ferons plus de bien. Si la Providence veut nous grandir soudainement, elle nous prendra où nous serons. Jusqu’à ce qu’elle nous mette à la tête des armées, tâchons d’être de bons et obscurs soldats dans ses troupes ; soyons les hommes d’une étude, ou les hommes d’une œuvre, ou les hommes d’une carrière, ou les hommes d’un pays, mais habituons-nous à appliquer des pensées très hautes, très larges et très générales à des occupations très étroites, très petites et très obscures. » Voilà le programme que M. Cochin s’était tracé au commencement de l’empire. Charmante modestie ! ce qu’il appelait des occupations très étroites, très petites, très obscures, c’étaient ses enquêtes sur les classes pauvres, premier objet de ses études