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qu’avaient joué les barons anglais stipulant les droits des communes conjointement avec les leurs. Ayant toujours au contraire combattu les droits du tiers-état quand il les avait réclamés, ne voyant dans le roi que le successeur de Louis XIV, la noblesse française n’était frappée que des limites imposées à l’exercice de l’autorité royale en Angleterre. Louis XVI à ses yeux avait plus de puissance que George III ; on ne devait pas l’affaiblir. Au surplus la cour regardait comme un axiome l’impossibilité d’une constitution libre dans un état grand comme la France. La situation insulaire des Anglais était citée sans cesse comme étant le seul préservatif contre les efforts des autres monarchies, jalouses des avantages attachés à la liberté et en même temps effrayées de ses exemples. Les états-généraux s’ouvrirent donc sans un programme politique.

Qui ne sait par cœur l’histoire de ces mois de mai et de juin 1789 ? Rien qu’à relire dans les mémoires les plus hostiles le récit de cette lutte entre les privilégiés et les communes, on est convaincu que c’est la dernière et que la victoire sera définitive. Qui ne connaît les mots de Sieyès, les apostrophes de Mirabeau ? Qui n’a prêté dans son cœur, avec le malheureux Bailly, l’immortel serment du Jeu de paume ? On sent comme un souffle qui soulève les feuillets du livre quand on l’ouvre à ces dates glorieuses. Tous les députés du tiers, graves, recueillis, jeunes la plupart, furent, jusqu’après la séance royale du 23 juin, unanimes dans leurs résolutions ; mais un esprit judicieux pouvait dès ce jour-là prévoir que la cause de la monarchie constitutionnelle était menacée ; le 14 juillet elle fut en péril, le 6 octobre elle fut perdue. Quelques députés étaient dès lors d’avis de se borner à poser les bases indiquées par les cahiers et de remettre la constitution à des jours moins orageux. La majorité ne pensa pas ainsi, et, jugeant avec raison qu’un projet pareil ne pouvait être préparé que par un très petit nombre de personnes, elle nomma un comité de huit membres, composé de Lally-Tollendal, Clermont-Tonnerre, Mounier, Talleyrand, Sieyès, Bergasse, Le Chapelier et l’archevêque de Bordeaux, de Cicé ; sauf quatre ou cinq noms tels que Mirabeau, Thouret, Duport, Barnave, Malouet, il n’y eut jamais d’hommes plus éclairés. Les opinions qui dominaient dans le comité étaient celles des monarchiens. Qui ne s’est demandé pourquoi elles ne purent triompher dans l’assemblée ? Le comte de Montlosier nous aidera dans cet examen.


II

Les cahiers servirent de base au travail du comité. Presque unanimes pour s’expliquer sur certains principes, ils avaient été ou divergens ou muets sur la plupart des questions politiques. M. de