Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/859

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était la suppression des classes privilégiées. Il s’était aperçu que la majeure partie du clergé ne songeait qu’à échapper aux événemens, et que la noblesse ne s’intéressait au fond qu’à sa conservation ; enfin la cour semblait à Montlosier ne savoir plus où se diriger. On ne cessait autour du roi et de la reine de déplorer la faute que l’on avait commise en convoquant les états ; à chaque moment, on s’occupait de s’en débarrasser pour revenir au régime des parlemens, combiné avec celui des lettres de cachet. Le retour à la royauté absolue, d’après la majeure partie de la haute société française, pouvait seul la préserver et la sauver. Quant à l’armée, Montlosier put aisément apprécier les dispositions qui régnaient parmi ses chefs. Lors du rassemblement des troupes par la cour en juin, il logeait à côté du maréchal de Broglie ; il le voyait étudier avec ses aides-de-camp le plan des environs de Paris. Passant un jour sur la terrasse du château de Versailles, le comte d’Espinchal, son compatriote ; qui gesticulait au milieu d’un groupe d’officiers, l’aperçoit et l’appelle. Ces messieurs s’entretenaient du plaisir qu’ils auraient bientôt à jeter par la fenêtre toute la pretintaille des états-généraux ; ils ajoutaient : Ils nous en ont bien fait, mais cette fois nous avons aiguisé nos couteaux.

Telles étaient les observations qui s’étaient gravées déjà dans l’esprit de Montlosier quand il vint s’asseoir sur les bancs du côté droit comme député de la sénéchaussée de Riom. Il avait trente-cinq ans. C’était une des natures les plus originales et les plus bigarrées qu’on pût rencontrer. Chateaubriand, son ami, a tracé de lui un portrait à demi bienveillant qui est dans tous les souvenirs. Ils s’étaient trouvés à Londres, émigrés tous les deux, dans leurs jours de misère et de rêverie ardente. Mme Lindsay, la dernière des Ninon, l’Ellénore d’Adolphe, réunissait chez elle quelques Français de mérite. C’est là que commença la liaison de René et de Montlosier. L’esquisse que le grand artiste nous a laissée, quelque étincelante qu’elle soit, ne donne cependant pas tous les traits de cette singulière et énergique figure.

Né le 16 avril 1755, à Clermont en Auvergne, il était le douzième enfant de sa famille ; mais ses frères et sœurs, qui l’avaient précédé, avaient peu vécu. Un seul frère, dont l’âge se rapprochait du sien, avait été élevé presque avec lui ; il l’aima avec passion. Nous n’avons plus l’idée de l’indépendance d’éducation qui existait dans certaines familles de province au XVIIIe siècle. A quatorze ans, Montlosier avait fini ses études classiques chez les moines augustins, qui avaient succédé aux jésuites dans la direction du collège de Clermont. Sa mère, qui surveillait avec soin son instruction, l’avait ensuite placé chez les sulpiciens pour faire sa théologie ; il y resta deux ans.