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dit Mme de Staël, une certaine fatuité aristocratique dont on ne peut avoir l’idée nulle part ailleurs qu’en France, un mélange de frivolité dans les manières et de pédanterie dans les opinions, le tout réuni au plus complet dédain pour les lumières et pour le travail.

Un autre témoin aussi véridique peut être consulté avec intérêt ; nous voulons parler du comte de Montlosier, membre du côté droit, royaliste ardent, amené un jour par la raison à s’associer aux pensées et aux espérances de Malouet et de Mallet Du Pan. Devenu pair de France, Montlosier publia en 1832 deux volumes de ses Mémoires ; mais il a laissé prêts à être publiés deux autres volumes inédits, dans lesquels, grâce à l’obligeante communication de son petit-fils, nous avons pu abondamment puiser.


I

Montlosier ne fut envoyé à l’assemblée nationale qu’au mois de septembre 1789. MM. de Laqueuille, de La Rouzière et de Maçon, députés de la noblesse d’Auvergne, avaient donné leur démission après la prise de la Bastille ; il fallait les remplacer. Leurs électeurs étaient irrités de cette défection : sur 300 gentilshommes que la convocation précédente avait réunis, il en était arrivé à peine 80. C’étaient les plus ardens. Montlosier parla avec autorité dans cette réunion, raconta en termes émouvans les derniers événemens de Paris, et parvint à ne point faire accepter les démissions offertes ; mais, comme des suppléans étaient à nommer, il fut élu le premier. À la fin d’août, une lettre du marquis de La Rouzière le prévint de sa retraite et l’invitait à venir le remplacer immédiatement.

Il était déjà connu au sein de la grande assemblée dans laquelle il entrait. Vers la fin d’avril 1789, il avait quitté l’Auvergne afin d’assister à l’ouverture des états-généraux. Lancé dans le plus grand monde par ses relations, il avait fréquenté les hommes du jour ; il avait causé longuement avec Sieyès et dîné chez Necker. C’est là qu’il vit pour la première fois un étrange solliciteur, qui ne lui eût peut-être pas pardonné ce souvenir. Montlosier était accoudé à la cheminée quand un homme maigre, qu’on prit pour un prêtre, s’approcha humblement de Mme Necker et lui demanda une place d’économe dans un des hôpitaux qu’elle dirigeait ; ce solliciteur n’était rien moins qu’un membre du tiers, député d’Arras, appelé Maximilien de Robespierre. — En rentrant dans ses montagnes d’Auvergne, après trois mois de séjour soit à Paris, soit à Versailles, Montlosier emportait des idées très nettes de la situation. Il pensait dès le mois de juillet que le tiers-état ne voulait de la liberté que pour établir l’égalité, et que son unique souci