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France. C’est assurément un fait curieux que les rentes françaises n’aient pas fléchi davantage sous le poids de désastres sans précédens. Sous le second empire, nos fonds publics n’avaient jamais atteint des cours très élevés, de même qu’ils n’étaient jamais descendus à des cours très bas. Le plus haut cours de notre 3 pour 100 dans les quinze années qui ont précédé 1870[1] fut celui de 75 fr. 45 cent, en 1856, et le plus bas cours fut de 60 francs 50 cent, le 3 mai 1859. On ne vit donc pas sous l’empire les cours très élevés que la rente avait atteints sous le règne de Louis-Philippe : bien des raisons s’y opposaient. D’abord les complications extérieures étaient plus fréquentes ou du moins aboutissaient plus souvent à des guerres ; tous les deux ou trois ans, de nouveaux emprunts lançaient sur le marché des masses de titres qui naturellement ralentissaient le mouvement de hausse, enfin l’activité industrielle était si considérable, les sociétés anonymes si nombreuses, les émissions de valeurs mobilières si incessantes, que le public des capitalistes se trouvait en présence d’une foule de titres de toute sorte qui faisaient une concurrence sérieuse à la rente française ; mais, si nos fonds ne montèrent jamais sous l’empire à des taux très élevés, les événemens prouvèrent qu’en se répandant le crédit de la France s’était fortifié. Certes la catastrophe de 1870 était bien autrement grave pour la France que les révolutions de 1830 et de 1848. En 1830, nous ne perdions qu’une dynastie peu populaire, et nous paraissions sur le point de fonder un régime libéral et définitif. En 1848, la France s’était trouvée prise d’effarement : je ne sais quel trouble moral et quelle agitation nerveuse s’étaient emparés d’elle ; cependant elle n’avait perdu ni territoire, ni richesse. En 1870 au contraire, le tiers du territoire était occupé par l’ennemi, le pouvoir était en des mains inexpérimentées et imprudentes, des sommes inouïes déjouant toute prévision et tout calcul étaient exigées de nous comme rançon. Néanmoins la rente française en 1870 resta toujours beaucoup plus ferme qu’en 1830 et en 1848. En 1831, notre 3 pour 100 tomba à 46 francs, en 1848 à 32 francs 50 cent. ; le cours le plus bas du 3 pour 100 en 1870 fut de 50 francs 80 cent., et en 1871 de 50 francs 35 cent. Le public français est aujourd’hui plus habitué aux orages qu’il ne l’était autrefois, les souvenirs de la consolidation du tiers de la dette publique et de la banqueroute des assignats sont plus éloignés. Enfin et surtout les titres de la dette française sont aujourd’hui en un million de mains : ce gros public de petits marchands, de petits propriétaires et même d’ouvriers est

  1. Nous laissons de côté les années 1852, 1853 et 1854, qui furent celles de l’établissement du régime nouveau ; le 3 pour 100 y fut coté jusqu’à 82 francs. Voyez les tableaux des cours des principales valeurs depuis 1797 jusqu’à nos jours, par M. Alphonse Courtois.