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innérentes au système des emprunts par souscription nationale ; l’an dernier, deux pays relativement pauvres, le Portugal et la Russie, ayant émis par cette voie des emprunts pour la construction de chemins de fer, les virent souscrire cent et même cent cinquante fois. Une observation prouve quelle est la part de la spéculation en pareil cas. Le premier emprunt de l’empire, celui de 250 millions en 1854, fut souscrit pour une somme un peu plus importante en province qu’à Paris : il est très vraisemblable que les souscriptions provinciales sont sérieuses. Au contraire, pour les emprunts de 1864 et de 1868, les souscriptions de Paris furent six fois plus importantes que celles des départemens, quoique les habitans de nos petites villes et de nos campagnes eussent appris qu’il faut enfler les demandes pour obtenir la somme de rentes désirée. Dans tous ces emprunts, le premier versement, celui que l’on appelle versement de garantie, était très faible, il fut uniformément de 10 pour 100 de la somme due par chaque souscripteur ; le nombre des termes fut généralement de 18. Le dernier emprunt impérial, celui du mois d’août 1870, se fit naturellement dans d’autres conditions. La spéculation avait disparu, il ne restait plus que la confiance des rentiers pour prendre les titres ; on demandait 805 millions, c’est à peine si on les obtint, les demandes s’étant élevées seulement à 807 millions.

Nous avons critiqué le système des emprunts par souscription publique, il convient néanmoins de leur reconnaître un mérite éminent : ils ont singulièrement contribué à répandre les titres de rentes dans toutes les classes de la population. La France se compose en majeure partie d’un monde de propriétaires et de rentiers ; ceux qui dans notre pays ne sont ni rentiers ni propriétaires sont l’exception. Sur quatre familles, il y en a trois qui ont quelque lopin de terre ou quelque titre de rente. Le morcellement de la terre remonte loin dans notre histoire, mais il date surtout de 1789 ; la diffusion des titres de rentes vient principalement du système des souscriptions publiques.

D’après un tableau qu’a publié M. le marquis d’Audiffret dans son Système financier de la France, le chiffre des rentiers en 1830 ne dépassait pas 125,000 personnes, même en supposant qu’il n’y eût pas de double emploi, notamment entre les propriétaires de rentes 5 pour 100 et ceux de rentes 3 pour 100. Parmi les 108,493 possesseurs de rentes 5 pour 100, on n’en comptait que 8,000 pour des parties au-dessous de 50 francs de rente. On voit combien peu la rente était alors démocratisée. Si nous nous reportons au Compte général de l’administration des finances de 1869, nous voyons que le nombre des inscriptions de rentes est de 1,254,040, dont 936,556 en 3 pour 100, 172,353 en 4 1/2 pour 100 et 755 en 4 pour 100. Il