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la perspective d’une augmentation de dettes de 10 milliards et d’un accroissement d’impôts de 700 millions.

A toutes les époques et dans toutes les sphères de l’activité humaine, on voit se reproduire les mêmes illusions et les mêmes entraînemens. En 1871 et en 1872, on s’avisa d’ouvrir une souscription pour payer à l’Allemagne les milliards ou du moins une notable fraction des milliards qu’elle exigeait de notre pays mutilé. Les honorables et crédules organisateurs de cette grande manifestation ignoraient sans doute que plusieurs essais de ce genre avaient été faits en France, même dans des temps récens, et qu’ils avaient toujours misérablement échoué. Au mois d’avril 1831, quelques semaines à peine après l’emprunt adjugé à des banquiers et aux receveurs-généraux, le gouvernement fit un grand appel au public. Il émit un emprunt national de 100 millions en 5 pour 100 au pair : il comptait sur l’esprit éclairé et les sentimens patriotiques de la bourgeoisie. On pensait que le régime nouveau retirerait un grand honneur et un puissant secours de la souscription volontaire de cet emprunt au-dessus du taux que cotait la Bourse. Frivole attente ! les capitalistes ne répondirent pas à cette convocation : ils prouvèrent en s’abstenant qu’ils ne confondent jamais un placement et un acte de dévoûment. Sur les 100 millions de capital demandés par l’état en 5 pour 100 au pair, on ne souscrivit que 20 millions. Une expérience semblable fut faite avec le même succès après la révolution de 1848 : on réclamait aussi des rentiers à cette époque un prêt de 100 millions en 5 pour 100 au pair ; quoique ce fonds fût coté à des cours très inférieurs sur le marché, on ne recueillit que 26 millions. Le même sort est réservé à toutes les tentatives de ce genre. Il est aussi chimérique de compter, pour souscrire des emprunts, sur le dévoûment des capitalistes que, pour former et conduire des armées, sur l’enthousiasme et la discipline de volontaires ou de recrues improvisées.

En 1832, le régime de juillet dut encore faire un emprunt de 150 millions de francs effectifs pour pourvoir aux déficits que les troubles et les inquiétudes publiques causaient aux budgets ; mais cette fois le crédit s’était sensiblement relevé, les rentes 5 pour 100 furent adjugées à 98 fr. 50 cent. Jusqu’en 1840, le grand-livre resta fermé. Depuis cette époque et pendant les huit dernières années de la monarchie constitutionnelle, il fut trois fois rouvert. A partir de 1840 en effet, l’Europe est entrée dans une ère nouvelle : elle subit deux entraînemens simultanés, l’un légitime et bienfaisant, l’autre condamnable et meurtrier ; elle a deux passions qu’elle satisfait à la fois, celle des travaux publics et celle des armemens guerriers. Ce sont là les deux causes des emprunts qui furent contractés en 1841, en 1844 et en 1847 ; ils ne furent pas émis en