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été détruite par les infidèles. L’image du Christ qui orne aujourd’hui l’iconostase porte au menton la trace d’un coup de lance tatare ou lithuanienne, souvenir des guerres polonaises du XVIIe siècle ; la Vierge qui lui servait de pendant, balafrée d’un coup de sabre, est dans une des églises de Kief. Le village moderne est bien aussi curieux que le gorodichtché. Qu’on imagine un terrain découpé, déchiqueté par les ravins, des masures à toits de chaume plus hérissés encore que dans la Grande-Russie, des enclos formés de claies d’osier, de derrière lesquels vous épient des jeunes filles aux yeux noirs avec une botte de fleurs artificielles sur la tête, des ruelles que parcourent à fond de train des familles de pourceaux à l’air farouche, et qui ont une crinière comme des sangliers, — voilà le type de tous les villages que nous avons visités sur le Dnieper.

Pendant ce congrès, les fêtes ne nous ont pas manqué. À la soirée chez le maire de Kief, on ne pouvait oublier que l’amphitryon est un Russe fort Parisien. Le raout du gouverneur-général se recommandait par un esprit ingénieux et le désir évident de flatter le goût dominant de ses hôtes. Dans le jardin du gouvernement, on avait disposé un chœur de soldats d’infanterie et un chœur de cosaques qui faisaient alterner les chants de l’Ukraine avec ceux de la Moscovie. Les guirlandes de lanternes vénitiennes entouraient des transparens qui représentaient les plus fameux monumens de la ville : Sainte-Sophie, la tombe d’Askold, la porte d’or. Dans le festin d’adieu donné par le congrès aux autorités kiéviennes, bien des santés ont été portées. On n’a pas oublié les hôtes étrangers. Les deux délégués de France ont répondu à cette courtoisie en portant deux toasts, l’un à l’union scientifique des Slaves et des Latins, l’autre à l’hospitalité russe, dont la France avait, en cette circonstance surtout, à se louer, puisqu’elle avait été plus largement représentée à Kief qu’aucune autre nation non slave. Le nom de la France a été salué par les plus vifs applaudissemens, et l’un des convives a pris la parole pour affirmer que l’union souhaitée par les délégués français était déjà une réalité. Si le congrès est fini, il vivra cependant par ses travaux. Ceux de l’assemblée de Moscou forment une importante publication, pour la magnificence de laquelle le comte Ouvarof n’a rien épargné. Ceux de Kief ne le céderont pas en importance à leurs aînés. Ces vingt jours de discussions laborieuses n’auront donc pas été stériles pour la science. En France, on nous annonce pour l’année 1875 plusieurs congrès, notamment celui des américanistes à Nancy : on peut dès maintenant leur souhaiter le succès du congrès kiévien.


ALFRED RAMBAUD.