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sarcophage serait occupé par douze maçons venus de la Grèce pour construire le couvent et qui, leur travail fini, reçurent la tonsure. Il y a aussi les crânes miraculeux desquels suinte constamment une huile surnaturelle qui guérit toutes les maladies, et la colonne à laquelle on attachait avec des chaînes de fer les aliénés ; elle leur rendait aussitôt la raison. Une réalité plus étrange que toutes les légendes, ce sont des cellules qui n’ont aucune ouverture ; elles ont été creusées par des anachorètes qui s’y sont emmurés de leurs propres mains, ne gardant de communication avec le monde et même avec leurs frères que par le guichet qui servait à leur passer une maigre pitance. Quand ils mouraient, la communauté venait à ce guichet, y disait les prières des morts, achevait de clore la grotte. Ce même réduit, qui avait été leur cellule, est devenu leur tombeau ; c’est là qu’ils sont couchés dans leur robe de moine, avec leurs cilices et leurs chaînes de fer, attendant la trompette du jugement. Le plus étonnant de tous ces ascètes, c’est Jean, le « grand martyr. » Pour dompter sa chair, bien qu’il restât des semaines sans manger, il avait imaginé de s’enterrer jusqu’à mi-corps ; c’est dans cette situation que la mort l’a surpris et que nous le retrouvons. Rien d’effrayant comme de voir dans l’ombre de cette caverne cette tête et ce buste sortir de terre. Les pénitens de la Thébaïde et les fakirs de l’Hindoustan n’ont rien inventé de plus formidable. Le caractère oriental de ces tortures volontaires éclate aux yeux ; il semble voir, comme dans le Ramayâna, le ciel et la terre contempler stupéfaits ces terribles pénitences, et les dieux mêmes tremblant qu’à force d’accumuler des mérites l’anachorète ne finisse par leur disputer le ciel. Les mougiks de Kief se sont fait une légende à son propos : ils assurent que Jean s’enfonce chaque jour en terre, et que, lorsqu’il y disparaîtra, ce sera la fin du monde. C’est pour retarder cette éventualité qu’ils font pleuvoir autour de lui les kopeks. De temps à autre, la catacombe s’élargit : on se trouve dans une église très basse de voûte avec une petite iconostase, ou dans une grotte qui a la destination, fort singulière ici, de réfectoire. Voici qu’on s’arrête pour regarder une croix antique dont les bords sont relevés de manière à former un vase à boire à quatre branches. C’est la coupe de saint Marc le fossoyeur. Dans les catacombes éloignées, on est surpris de trouver le corps d’une princesse, encore chaussée de mules de satin comme si elle sortait du bal, mais qui participe, comme ses saints compagnons, au privilège d’incorruptibilité.

Le 23 août, le congrès fit une excursion au village de Gatnoe, à 10 kilomètres de Kief. Il y avait là des kourganes qu’on se proposait d’ouvrir en présence des invités. Par les soins du comte Ouvarof et