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présente à notre cœur, nous sympathisons trop profondément avec les chers souvenirs qui s’y rattachent pour ne pas rendre hommage au sentiment d’amour filial qu’elle inspire à tous les Russes. » L’orateur proclama ensuite le nom des hôtes non russes qui avaient répondu à son appel, et termina son énumération en ajoutant que de l’étranger étaient venus deux Français. De l’étranger, avait-il dit, — car les savans de la Bohême, de la Serbie et de la Galicie sont considérés par les Russes, en un certain sens, comme des compatriotes. À ce point de vue, les deux délégués du ministère français étaient bien à peu près les seuls « étrangers » du congrès. Un consul allemand et un consul anglais s’étaient fait inscrire, mais ils n’y ont point paru. Quant aux Slaves des états autrichiens et prussiens, bien que quelques-uns parlent l’allemand plus facilement que le russe, on ne peut guère les regarder comme des Germains.

Les travaux commencèrent presque aussitôt ; le soir même, on fit un certain nombre de lectures. Dès lors il y eut deux séances et six heures de lectures par jour. Malgré la chaleur torride du mois d’août, — qui faisait penser à ces grandes sécheresses dont parlent les chroniques kiéviennes, lorsque les forêts s’enflammaient spontanément au milieu des marécages, — malgré l’aridité ultra-scientifique de certains mémoires, le public de la ville, confondu avec les membres du congrès, emplissait la vaste salle des actes. Les dames et les jeunes filles écoutaient intrépidement les développemens les plus techniques sur quelque vieille église d’une vieille petite ville inconnue. Elles s’intéressaient aux considérations sur l’orthognathie ou la brachycéphalie des crânes trouvés dans les tumuli ; elles voyaient sans frémir s’aligner sur le tableau noir les signes cabalistiques de l’écriture glagolitique ; elles ne refusaient pas leurs applaudissemens à telle dissertation, hérissée de dates, qui tendait à reconstituer la chronologie des métropolites de Kief depuis Missaïl jusqu’à Onésifore Dévotchka. Les cours des universités russes ne sont pas publics comme ceux de nos facultés : la curiosité n’en est que plus vive le jour où s’ouvrent enfin ces portes longtemps fermées. D’ailleurs l’excellente instruction secondaire que reçoit la femme russe dans les gymnases et les instituts la prépare admirablement à faire son profit des enseignemens de la haute science. La langue du congrès était le russe : il ne consent plus à se laisser supplanter dans les discussions savantes par les idiomes étrangers ou par les langues mortes. M. Pogodine, au congrès de Moscou, citait un recueil de numismatique publié à Saint-Pétersbourg (de 1847 à 1852) où l’on n’admettait point les articles en langue russe ; un célèbre orientaliste qui venait proposer un mémoire sur des monnaies du Volga s’était vu obligé de le traduire en anglais, et