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sénateur ; mais nos contradicteurs nous permettront de les trouver bien dédaigneux pour un titre fort modeste sans doute, mais représentant quelque chose qui a droit à leur sympathique estime, l’éducation classique. Ne songe-t-on pas sérieusement de plusieurs côtés de l’assemblée à faire nommer la seconde chambre par les conseils municipaux ? Avec tout le respect que nous devons au suffrage universel et à ses élus, nous osons croire que le grade de bachelier ès-sciences et ès-lettres témoigne un peu plus qu’une élection de village des lumières et de la capacité d’un électeur pour le sénat. Un pareil titre, quoi qu’on en puisse dire, répond à des études sérieuses, s’il est obtenu après un sérieux examen, et représente une certaine culture d’esprit et d’âme qui permet de comprendre et de sentir ces grands principes de la politique qui touchent à l’histoire, à la morale, à la philosophie. Un bachelier ne sait pas ces sciences à fond, nous en convenons ; mais le collège lui en a appris assez pour qu’il puisse les savoir un jour, grâce à ses études personnelles. C’est un avantage qui manque aux enfans, si intelligens qu’ils soient, des classes ouvrières, qui n’ont pas connu d’autre maître que l’instituteur. Faute d’une éducation classique préparatoire, ce travail tout personnel qui vient après l’école n’est guère possible, et en tout cas rarement fécond. Quand on prononce le mot d’aristocratie dans notre temps et dans notre pays, il faut bien comprendre qu’il n’a plus le sens qu’il pouvait avoir dans la société que la révolution a si profondément modifiée. Aujourd’hui c’est l’esprit, le talent, l’instruction, la distinction naturelle ou acquise, l’éclat ou la durée des services publics, l’influence sociale conquise par tous les moyens légitimes qui font l’aristocratie d’un pays où le passé ne compte que pour mémoire, et encore chez ceux qui en ont conservé le respect.

Dieu nous garde d’une parole de dédain pour ces études et ces professions dont le caractère propre est l’utilité, dans le sens matériel du mot. C’est bien quelque chose de faire vivre une société ; mais qu’on nous permette de réserver notre prédilection pour celles qui la font bien vivre en y mettant ce qui leur est propre, le sentiment des grands devoirs de la vie publique et privée. Voilà ce qui doit faire tenir en haute estime ces études classiques où l’on enseigne la liberté, l’honneur, la dignité personnelle, la patrie, toutes choses auxquelles l’enseignement commercial, industriel, scientifique, reste étranger. On se trompe quand on croit ces choses de pur instinct et de sentiment naturel. C’est parce que le paysan n’en a jamais entendu parler jusqu’ici dans son école de village qu’il a trop oublié, dans la dernière guerre, qu’il y a au-delà et au-dessus de son cher foyer une grande famille, la France, pour laquelle il faut