Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/777

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la représentation constitutionnelle de tous les droits et de tous les intérêts du pays. On aurait la sagesse de se demander si, manquant de ce contre-poids, un gouvernement démocratique peut fonctionner sans tomber dans la dictature et le despotisme, et si les partisans sincères des institutions démocratiques, comme le sont les républicains, ne devraient pas être les premiers à réclamer ce tempérament dans l’intérêt de la démocratie elle-même. En France, où il arrive si souvent que ce qui convient le mieux est ce qui plaît le moins, nous en sommes là qu’un projet aussi sérieux, aussi opportun, ne paraîtrait qu’un anachronisme peu digne de fixer l’attention d’une assemblée politique. Nous avons fait de si grands progrès dans les voies de la démocratie pure, et nous sommes si assurés d’y trouver un avenir prospère et glorieux, qu’une si petite sagesse n’obtient que nos dédains. Il est inutile d’ajouter que, si par impossible ce système reprenait faveur, il faudrait le compléter par l’adjonction de ces capacités qui ont fait si grand bruit dans les projets de réforme de 1848. M. de Molinari n’y a pas songé, parce qu’il veut une chambre conservatrice élue par un corps électoral essentiellement conservateur. Ce n’est point assez. Le sénat n’a pas seulement la mission de conserver ; il a aussi et surtout celle de modérer le jeu de nos institutions constitutionnelles en prenant le rôle de médiateur vis-à-vis des deux autres pouvoirs. C’est une haute mission pour laquelle il faut non-seulement l’instinct de conservation, mais encore un esprit supérieur de gouvernement et d’administration. Sans l’adjonction des capacités, un corps d’électeurs censitaires pourra élire une chambre de résistance, non de direction ; il ne serait donc pas tout à fait à la hauteur de sa tâche.

Reste le projet du gouvernement de M. de Broglie, modifié et, il faut le reconnaître, amendé par la commission. Nous accordons à ce projet un mérite propre : c’est d’avoir compris la nécessité d’un corps électoral spécial qui ait un caractère aristocratique, dans la bonne acception du mot. Ce n’est plus le pays tout entier, comme dans le projet du gouvernement de M. Thiers ; ce n’est plus la classe des censitaires du pays, comme dans le projet de M. de Molinari : c’est un système de catégories représentant tout à la fois la propriété, la capacité, la science, les grandes fonctions publiques, les plus hauts intérêts de l’état et de la société. Est-ce à dire que nous inclinions vers l’adoption de ce système, même avec les modifications de la commission ? Nous en sommes très loin. Si le système de M. Thiers nous semble trop large, nous trouvons celui de M. de Broglie par trop étroit. Ces grands intérêts qu’il fait représenter par son système de catégories sont en effet réellement et fidèlement représentés ; mais, qu’il nous permette de le lui dire, ils le sont en