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faire de la seconde chambre une alliée sûre pour le pouvoir exécutif dans sa lutte avec la chambre des députés, cela se conçoit. Alors le sénat n’est plus qu’un instrument de gouvernement entre les mains du président, comme il l’était entre les mains de l’empereur, avec cette différence pourtant que, si Napoléon Ier et Napoléon III ne comptaient pas du tout avec leur sénat, ils comptaient médiocrement avec un corps législatif élu on sait comment, et qu’ils étaient toujours assurés non-seulement de faire prévaloir leur volonté, mais de ne point rencontrer d’obstacle sérieux. Si l’on veut que cette chambre exerce véritablement une médiation que nous reconnaissons utile et parfois nécessaire, il faut lui donner une origine qui réponde à sa fonction. Mais quelle est la première condition d’impartialité et de liberté pour un arbitre ? Est-ce de relever également des deux parties ? Nullement. C’est de ne tenir par aucun lien d’origine ou d’intérêt à l’une ou à l’autre. La seconde chambre ne pourra donc exercer librement son arbitrage entre les deux autres pouvoirs qu’autant qu’elle n’aura rien de commun avec l’un ou avec l’autre quant à son origine.


IV

C’est donc de l’urne électorale que doit sortir notre sénat tout entier ; mais de quelle manière ? Sera-ce, comme le veut le projet de M. Thiers et de ses éminens collaborateurs, MM. Dufaure et de Rémusat, l’élection par le suffrage universel ? Quand de tels esprits, ayant une telle expérience politique, ont trouvé, après de longues méditations, une combinaison qui leur semble de nature à concilier tout à la fois le sentiment démocratique dont il faut bien tenir compte, et l’intérêt conservateur que des hommes d’état de cette valeur ne peuvent abandonner, notre médiocrité et notre inexpérience ne nous permettent pas de trancher sans hésitation de pareilles difficultés. Le dirons-nous pourtant ? nous voyons dans ce système le grave inconvénient de donner aux deux chambres la même origine. Nous craignons que la seconde ne soit qu’une image de la première, plus douce et plus pâle expression, si l’on veut, de la démocratie qui sera leur commune origine. Les auteurs du projet ont prévu l’objection, et ils ont essayé de la prévenir en enfermant le choix des électeurs dans un système de catégories, d’ailleurs très judicieux et très rassurant, si l’on ne tient compte que des élémens dont elles se composent ; mais qui peut répondre que le suffrage universel aura la sagesse de bien choisir ? Si bons que soient ces élémens pris en masse, il reste encore au suffrage populaire la liberté de faire de mauvais choix ; nous disons mauvais au point de vue où se placent