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manie de se guinder en hommes d’état, de donner des leçons aux pouvoirs publics, — où ils se croient tenus de faire des professions de foi sur la nécessité de proclamer la république, sur l’état de siège, sur l’instruction gratuite, obligatoire et laïque, sur toutes les choses enfin dont ils n’ont pas le droit de s’occuper et dont ils ne pourraient s’occuper qu’en violant ouvertement la loi : puis on transforme ces élections en manifestation politique ! Le résultat le plus évident est de dénaturer une institution précieuse, d’ouvrir une issue de plus à l’esprit de parti, qui n’est déjà que trop dominant dans nos affaires.

C’est à Paris surtout que le danger prend un caractère plus grave : ici le résultat est d’hier, et il est parfaitement clair, parfaitement significatif. Il n’y a plus à en douter, la démocratie extrême a obtenu une victoire complète, plus de 50 élus sur 80. Le nouveau conseil va se composer de la fine fleur du radicalisme, et malgré la pluie d’hiver qui tombait, il paraît, au dire des historiographes épiques et lyriques de cette journée solennelle, que le soir une illumination soudaine est partie de Paris pour se répandre sur la France, sur l’univers entier ! M. Cadet, M. Nadaud, M. Clemenceau, M. Braleret, M. Floquet, sont les représentans et les municipaux de la ville qui réunit toutes les écoles, les académies, les grandes industries ! Voilà qui est clair, la république de la démagogie a son gouvernement tout trouvé qui va entrer au Luxembourg. Eh bien ! oui, les radicaux ont triomphé ; mais ceux qui célèbrent déjà si pompeusement cette victoire se sont-ils demandé ce que serait le lendemain, quel retentissement et quel effet aurait cet étrange succès ? Ont-ils bien examiné ce qui pourrait en résulter pour l’avenir de l’institution municipale dans la grande ville ? Lorsqu’ils célèbrent hyperboliquement cette manifestation, lorsqu’ils font du nouveau conseil le représentant de la cité révolutionnaire par excellence, ne voient-ils pas qu’ils vont eux-mêmes au devant de cette dangereuse question qu’on entrevoit déjà : peut-il y avoir deux gouvernemens, deux assemblées en présence ? Ils n’ont rien vu, et, pour une victoire peut-être précaire, ils ont réveillé des problèmes que la plus simple prudence conseillait de laisser dormir. Ce qu’ils étaient hier, ils le sont aujourd’hui. Peu importe la France ou Paris, pourvu que la révolution triomphe !

L’Italie est sortie de sa dernière crise d’élections avec un parlement nouveau qui vient de se réunir à Rome. A vrai dire, malgré la vivacité de la lutte sur certains points, malgré le succès relatif de l’opposition dans les provinces méridionales et à Rome, la crise n’a pas été bien grave, elle n’a pas sérieusement agité le pays. C’est assez l’usage au-delà des Alpes : la passion des élections n’est pas ce qui domine chez les Italiens. Les électeurs sont généralement peu empressés au scrutin, et soit insouciance, soit calcul, ils s’abstiennent volontiers. Le plus souvent il faut s’y reprendre à deux fois, faute d’un nombre suffisant de