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obligés de s’incliner ou du moins de faire quelques façons, de montrer un peu de diplomatie. On a beaucoup mieux, on a le désordre moral en quelque sorte organisé, le déchaînement presque régulier de toutes les prétentions, de toutes les compétitions, au sein d’un provisoire toujours agité, perpétuellement remis en question hors de l’assemblée comme dans l’assemblée, et à ce désordre, à ce déchaînement, que voulez-vous opposer, si vous maintenez tout ce qui les favorise et les entretient ? Le meilleur moyen de ramener l’ordre dans les esprits comme dans les faits, c’est d’en donner l’exemple de haut, par la dévoûment d’une majorité reconstituée, par l’autorité d’un gouvernement organisé, par l’application résolue des lois à tous les partis, à tous les agitateurs, à tous ceux qui prétendent substituer leurs volontés et leurs caprices à l’intérêt public. Cette majorité, qui serait si nécessaire aujourd’hui, dont on parle sans cesse et qui semble toujours fuyante, se trouvera-t-elle enfin ? Qu’on laisse un instant de côté les habiletés, les subterfuges, les subtilités, qu’on mette en commun les préoccupations patriotiques, le sentiment des choses réelles et possibles, on en viendra sûrement à bout. Entre les conservateurs, qui, préférant la monarchie, ont perdu L’espoir de la voir renaître au moment, présent, et les libéraux qui, en se ralliant à la république, ne la séparent pas de toutes les conditions d’ordre, de sécurité, de conservation, est-ce qu’il n’y a pas une alliance naturelle, indiquée, imposée en quelque sorte par les circonstances ? Est-ce que les incompatibilités personnelles, les antagonismes inavoués, les défiances jalouses peuvent triompher des raisons de patriotisme et d’intérêt national ? Il s’agit toujours en définitive, non de disposer d’un avenir illimité qui n’appartient à personne, mais de mettre la France en mesure de rester maîtresse d’elle-même, de se gouverner, de s’administrer, à l’aide d’institutions sérieuses qui après tout seraient toujours indispensables, sous la monarchie comme sous la république. C’est là toute la question dont doivent se préoccuper les chefs des diverses fractions parlementaires qui ont recommencé à se réunir, qui certainement sont les premiers à sentir que, s’ils ne font rien aujourd’hui, ils jouent leur propre crédit en même temps qu’ils laissent le pays livré à l’aventure.

Que fera le gouvernement, ou plutôt que fera le ministère au milieu de ces complications intimes d’une session qui s’ouvre comme une énigme ? Le ministère, de peur de se tromper, semble jusqu’ici devoir se borner à un rôle modeste et expectant. Il laissera parler M. le président de la république dans son prochain message. Il attendra prudemment, avec la chance de vivre encore quelques semaines, puisque les partis paraissent disposés à s’entendre, pour éviter les discussions irritantes jusqu’après les fêtes de la nouvelle année, et si on lui demande son opinion, il sera peut-être embarrassé d’en avoir une de façon à contenter tout le monde, comme il le voudrait. Le malheur est que