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emporte comme un éblouissement de ce radieux soleil de la renaissance italienne. Pour apaiser sa fièvre, il bâtit Fontainebleau et Chambord ; il peuple de marbres antiques ses palais et ses parcs ; il oblige Léonard, André del Sarto, Raphaël, à devenir ses tributaires ; Serlio et Benvenuto viennent se mettre à ses ordres. Le Primatice achète pour lui des tableaux ; enfin le musée prend naissance dans le cabinet du premier des Valois, et l’école française est fondée du même coup.

Aussi en peu d’années quel profit et quel essor ! Comme ces vieux sculpteurs de Gaule dont le ciseau avait émerveillé l’Europe sous Louis IX se réveillent de leur long assoupissement de trois siècles ! Du premier effort, ils égalent ces orgueilleux étrangers qu’ils surpasseront demain. Qui donc a appris si vite à J. Goujon, à G. Pilon, le secret de cette grâce que Cellini n’a jamais soupçonnée ? Sur les rives de la Loire et de la Seine, une autre renaissance éclate : Philibert Delorme, Pierre Lescot, élèvent ces châteaux d’une fantaisie si indépendante ! le miracle est fait. Le roi de France a séduit l’esprit qui souffle où il veut ; il l’a forcé de franchir les Alpes, qu’il ne repassera plus. — Aujourd’hui, après les lassitudes et les découragemens d’une époque si tourmentée, d’où vient cette poussée de vie et cette puissance de sève dont témoignent les œuvres de l’école contemporaine ? Et cependant où sont les patrons dans ce siècle qui ne veut plus de maître ? C’est l’amour du passé qui a encore une fois porté ses fruits, car il ne faut pas s’y tromper : cette lutte autour des objets d’art qui paraissent dans les ventes publiques n’est pas seulement l’effet d’une passion factice, elle est l’indice certain d’un fait qui a des conséquences sérieuses. Le discernement des amateurs a grandi, et leur nombre s’accroît en même temps, à ce point qu’on pourrait presque dire sans exagération qu’ils sont devenus le public. Il a bien fallu que l’industrie s’aperçût de ce progrès, et qu’elle sortît des ornières où elle se traînait depuis un demi-siècle. Elle a dû ouvrir les yeux, étudier, s’assimiler l’enseignement des aïeux. Na-t-elle pas trop complaisamment subordonné le devoir de se montrer originale au désir de bien copier ? La question est difficile à résoudre pour ceux-là même qui ont tracé la voie ; le progrès n’en est pas moins visible. Il est dû tout entier à ces modestes, mais actifs pionniers que nous venons d’appeler les amateurs.

Toutefois cette production usuelle et courante n’est qu’une face de l’art. Si le goût d’un peuple se traduit jusque dans l’exécution des objets qui répondent à ses besoins les plus vulgaires, c’est, par de plus nobles efforts qu’il établit sa prééminence, et qu’il la maintient, et cette fois c’est le rôle de l’état de les susciter. En fournissant aux artistes l’occasion et la place, un gouvernement intelligent ne fait cependant que la moitié de sa tâche : il lui importe encore