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villes, et que nombre d’entre eux se distinguent aujourd’hui autant par leurs façons élégantes que par la culture élevée de leur esprit. Beaucoup, qui sont venus en Europe, se sont façonnés aux manières policées du vieux monde. Quelques-unes des anciennes familles, celles-là de souche réellement noble, ont gardé aussi avec sévérité et inculqué à leurs enfans les saines traditions d’autrefois. L’Amérique eut jadis sa bonne société. Au temps de George et de Martha Washington, qui avaient une cour, qui tenaient leurs levers, les salons de Philadelphie, de Boston, de Newport, de New-York, allaient de pair avec les meilleurs salons de l’Angleterre. L’avènement de plus en plus marqué des formes démocratiques et la part de plus en plus grande faite aux immigrans, ont peu à peu changé tout cela. Ces bonnes maisons, qui autrefois accueillaient si spontanément, si ouvertement l’étranger, il faut aujourd’hui les connaître, les chercher, les trouver, et chacune est un peu murée. C’est comme un clan dont il faut être, sinon vous êtes tenu soigneusement à l’écart. Le même homme qui, allant le matin à ses affaires, touche la main, parle familièrement à son bottier, citoyen, électeur comme lui, s’enferme, se claquemure le soir dans sa famille, et n’est accessible qu’aux intimes.

Dans ce monde si agité, si multicolore, il n’est pas rare, on le sait, de rencontrer des industriels et des marchands dont la fortune et les revenus égalent ceux des rois.. Le commencement de tous a été des plus modestes. Stewart, émigré irlandais, a débuté par être un pauvre maître d’école. Astor, un Allemand, venu à New-York au commencement de ce siècle, avec un écu en poche, a laissé à son fils une fortune en propriétés foncières évaluée à 100 millions de francs. Vanderbilt, descendant des premiers émigrans hollandais, a commencé par être batelier et porter sur sa barque des produits de jardinage de Brooklyn ou de Staten-Island à New-York ; il a aujourd’hui une fortune au moins aussi considérable que le fils de John-Jacob Astor ; il jouit de plus du renom d’être le premier homme d’affaires des États-Unis. Il a possédé un moment toute une flotte de bateaux à vapeur, si bien qu’on ne l’appelait plus que « le commodore » ou « grand-amiral. » Aujourd’hui il n’a pas d’égal dans l’administration des voies ferrées. Le chemin de New-York-Central et Hudson-River, qui va jusqu’à Chicago par le railroad, riverain du lac Érié, qu’on nomme le Lake-Shore, est tout entier dans ses mains. Il mène cette affaire sans contrôle, autocratiquement. Les actions sont au-dessus du pair, et toute la bourse de New-York est tellement intéressée dans les affaires de ce roi des financiers, que récemment, en septembre 1874, la nouvelle, heureusement fausse, qu’il était pris d’une indisposition légère, fit tout à coup baisser les fonds publics. Il est vrai que cet industriel infatigable, le plus grand