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Les belles demeures, et en général toutes les maisons privées de New-York, rappellent par l’architecture et la disposition les résidences anglaises ; elles n’ont aucune ressemblance avec nos maisons de Paris. On ne comprend pas aux États-Unis que plusieurs familles puissent habiter à la fois sous le même toit. Chacun veut avoir son foyer séparé, et cependant ce sont ces mêmes gens qui vont vivre si volontiers à l’hôtel. Les demeures des riches se reconnaissent à leurs élégantes et monotones façades, où le grès rouge du New-Jersey se répète sur des blocs continus avec les mêmes moulures et toujours la même ordonnance. Ce sont presque partout les mêmes balcons de pierre, les mêmes grandes glaces aux fenêtres, la même porte monumentale en beau bois de noyer américain, sculpté, fouillé, à laquelle conduit un escalier extérieur. Du pied des marches se détache une grille en fer qui protège un carré de gazon et le pas qui mène aux cuisines. De l’autre côté de la maison, un long jardinet ou une cour avec une treille au fond. Volontiers on tend des cordes à travers les arbustes pour faire sécher la lessive, qui se fait à domicile. Quelques jardins sont mieux tenus et décorés de plantes rares. A l’intérieur du logis, de nombreux objets d’art, souvent d’un goût douteux. Toutefois plusieurs de ces collections mériteraient d’être citées, et témoignent du choix éclairé de leurs possesseurs. Il est telle galerie de tableaux établie avec un soin délicat, patient, qu’il faudrait aussi rappeler, si d’autres n’ont été l’assemblées que pour obéir à la coutume, qui veut que l’on ait des tableaux quand on peut les payer.

C’est dans ces demeures princières qu’habitent ces jeunes misses remuantes qui ne vivent que pour s’amuser. Elles sont libres autant qu’on peut l’être ; les mœurs américaines ont encore renchéri en cela sur les mœurs anglaises. Heureusement que les jeunes filles joignent à l’amour exagéré du plaisir, du mouvement, un tempérament calculateur qui les retient le plus souvent sur le bord de l’abîme. La tête est folle, mais le cœur reste froid. Les lois du pays atteignent aussi le séducteur plus facilement que chez nous, ce qui est une barrière pour l’homme. Ce n’est pas qu’il n’y ait des abus, et que telle demoiselle de New-York ne soit, comme on dit, un peu fast ou évaporée. Le jour, elles vont avec des amies, ou accompagnées de celui qui a l’honneur de les courtiser et de flirter ouvertement avec elles, cavalcader au Parc-Central, amazones infatigables, ou y courir follement dans un buggy qu’elles conduisent elles-mêmes. L’hiver, elles changent le phaéton en traîneau, vont patiner sur le lac du parc ou promènent leur curiosité dans tous les magasins de Broadway. Là elles font déplier toutes les étoffes, demandent le prix de chaque chose et n’achètent rien. Le commis impassible ne témoigne par aucun signe du moindre mécontentement. Il