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Le car est une immense voiture quadrangulaire portée sur deux paires de roues en fonte, et tramée par deux chevaux sur des rails en fer noyés dans la chaussée. Le cocher, debout, sans user du fouet, guide des rênes les bêtes librement attelées. Un frein, qui agit sur les roues et qui se manœuvre au moyen d’une manivelle, sert à arrêter la voiture quand il en est besoin. Au tournant des rues, les rails s’arrondissent sur des courbes soigneusement calculées, et le car évolue aisément sur la cheville ouvrière des essieux. Les chevaux, munis de sonnettes à la façon des mules espagnoles, annoncent de loin la venue du véhicule. Les voitures et les piétons se garent ; les voitures reprennent ensuite leur première direction sur les ornières des rails, dont elles suivent l’espacement, ce qui facilite beaucoup leur course et le tirage des chevaux. A l’intérieur du véhicule règnent, sur toute la longueur, deux bancs légèrement rembourrés ou à claire-voie ; à terre, un tapis de feutre ou de spart. Quand toutes les places sont prises, on se tient debout, dans l’espace libre entre les deux bancs. Des bretelles en cuir, fixées au plafond de la caisse roulante, — et dans lesquelles vous passez la main, si l’aspect graisseux de ces corps pendans, usés par d’autres, ne vous dégoûte pas, — aident à garder la position verticale. D’habitude le passant s’élance dans la voiture, qui court au trot, en descend de même ; on n’arrête guère que pour les dames. On ne refuse jamais personne. Quand tout l’intérieur est plein, vous pouvez monter à l’avant, sur la plate-forme, à côté du cocher, à l’arrière, à côté du conducteur. Celui-ci va et vient, encaisse le montant des courses, qui est uniforme, quelle que soit la distance que vous parcouriez. Il tient à la main un papier numéroté et un petit appareil métallique. A chaque paiement, il pointe le papier avec cet appareil taillé en emporte-pièce ; une petite rondelle se détache et tombe dans l’intérieur du mécanisme : c’est une souche qui sert de contrôle ; en même temps sonne un timbre. La fraude est impossible, il faut enregistrer chaque paiement ; le public est là qui entend sonner l’appareil, et cela réveille les oublieux, que le conducteur pousse du coude ou touche familièrement à l’épaule, s’ils ne s’exécutent pas assez vite. Le car est plein, entrez toujours ; il est fait pour 24 places, il emmène quelquefois jusqu’à 60 voyageurs. Le matin, mais surtout le soir, vers six heures, quand chacun revient des affaires, c’est un spectacle curieux que celui de ces voitures où les grappes humaines s’empilent. Aucun bruit, aucun cri, aucune dispute. Chacun se serre pour faire place au voisin. On ne repousse même pas ceux qui entrent avec des paquets. On est fort poli pour les dames ; on se lève silencieusement pour leur céder la place quand elles sont debout. C’est chose due, elles ne vous remercient pas même d’un sourire, d’un coup d’œil ; seulement prenez