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cette faillite formidable qui en entraîna tant d’autres, si bien que le monde financier ne vit jamais panique pareille, et que la Bourse de New-York dut être fermée pendant dix jours pour que la crise pût s’apaiser, et cette crise dure encore ! D’autres grands financiers ont à leur tour suivi la mode et érigé un temple à la finance. A Londres, à Liverpool, ces rivales européennes de New-York, on vous fera encore asseoir devant une table de bois blanc, sur une chaise de paille, dans un bureau poudreux, obscur ; ici l’on vous offre un élégant fauteuil et même une chaise berceuse, un rocking-chair, dans une salle bien décorée, inondée de lumière, et dont les tables sont en bois sculpté.

On a voulu jouir de tous les conforts. Tandis que les agens de change vigilans marquent sur leur carnet, à la bourse de l’or ou des titres cotés, le taux oscillant des différentes valeurs, le banquier n’a point à se déranger pour en connaître les fluctuations. Un appareil télégraphique, installé dans un angle de ses bureaux et dont le bruit saccadé vous prévient dès l’abord comme le tic-tac d’un moulin, imprime d’une façon continue, sur une bande de papier qui se déroule, le cours de toutes les valeurs à l’instant précis où on le crie. Les nouvelles télégraphiques arrivées d’Europe ou de l’intérieur, le prix courant des principales marchandises, ne sont pas non plus oubliés, et chacun peut relever à son aisé, sur cet appareil qu’on trouve dans tous les bureaux, l’indication qui l’intéresse. On a fait d’autres applications de la télégraphie électrique. Il y a par exemple dans quelques magasins un timbre qui sert à prévenir immédiatement la police dans le cas où l’on soupçonne un prétendu chaland ; l’agent de sûreté arrive et le pince en flagrant délit.

Aux allures de ces hommes sans cesse agités, il faut l’instantanéité de l’étincelle électrique. Le plus riche restaurateur de New-York, Delmonico, dix fois millionnaire, chez lequel tous les gens de Wall-street et des rues circonvoisines vont vers une heure prendre à la hâte, debout, un lunch et un drink, c’est-à-dire manger un morceau et se désaltérer, n’a pas manqué d’introduire dans son établissement le précieux télégraphe des valeurs. Il est là, dans le vestibule, où conduit un large escalier extérieur, couronné d’un fronton circulaire que portent des colonnettes de marbre. On dirait l’entrée coquette d’un petit temple grec ou romain ; c’est l’endroit où le Vatel de New-York gagne chaque jour 10,000 francs.

Pendant que l’appareil galvanique, à la marche intermittente, est consulté par quelques joueurs fiévreux, pénétrons dans la salle à manger. Une affiche prévient en entrant ceux qui mâchent du tabac de vouloir bien respecter les marbres. Tout le monde mange debout, le chapeau sur la tête. C’est à peine si quelques délicats assis occupent le coin étroit d’une petite table. Voici devant le