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Mommsen n’en ait pas dit un seul mot dans son savant mémoire sur Pline. Un jeune écrivain de talent, M. Aube, en traitant ce grave sujet avec compétence et savoir, nous a paru guidé par une critique aussi éclairée qu’indépendante. Malgré l’opinion reçue généralement sans avoir jamais été soumise jusqu’à notre temps à un examen sévère, il ose mettre en doute par de très fortes raisons l’authenticité de cette lettre, tout au moins dans la teneur où elle nous est parvenue. Il s’étonne à bon droit que Pline, qui, comme avocat, avait certainement suivi de très près toutes les grandes affaires judiciaires de son temps, avoue n’avoir « jamais assisté aux procès criminels faits aux chrétiens. » Il faut aussi relever dans cette lettre une apologie de ceux qu’il avait le devoir de rechercher et qui démontrerait un peu trop l’innocuité des prévenus et le peu de fondement des poursuites : « ils assuraient, dit la lettre 97, que tout leur crime, que leur seul égarement consistait dans leurs réunions à jour fixe, avant l’aurore, et que ces réunions n’avaient d’autre but que de chanter ensemble et alternativement en l’honneur du Christ, considéré comme un Dieu, à s’engager par serment, non pas en vue de pratiques criminelles, mais au contraire à ne commettre ni vol, ni violence, ni adultère, à garder leur parole, à ne pas nier le dépôt confié ; que, cela fait, ils avaient coutume de se retirer, puis de se réunir de nouveau pour prendre ensemble une nourriture innocente. » Certaines parties de cette lettre sont même, il faut bien l’avouer, tout à fait inexplicables ; Pline annonce à l’empereur que « ce ne sont pas seulement les villes, mais les bourgs et les campagnes qui sont envahis par cette contagieuse superstition. »

On est en droit de se demander comment une affaire aussi importante, une accusation dans laquelle se trouvait impliqué « un si grand nombre de personnes de tout âge, de toutes conditions, » a pu être si tardivement révélée à l’empereur et par une seule lettre. Comment se fait-il qu’un jurisconsulte comme Pline ne sache ni à quel titre les chrétiens sont poursuivis, ni sous l’application de quelle loi ils tombent, ni quelle peine ils encourent, ni ce qu’on aurait précédemment statué à leur égard. Si le péril est aussi grand qu’il le déclare, comment n’en a-t-il pas dit un seul mot, n’y a-t-il pas fait une seule allusion dans les lettres précédentes ? Il est vrai que Tertullien et Eusèbe ont cité cette lettre de Pline, mais d’abord ces deux témoignages n’en font qu’un, car ce second écrivain n’a pas dû la voir, et il n’en parle que sur la foi du premier. Or les quelques mots cités par celui-ci comme ayant été empruntés à ce document non-seulement ne se retrouvent pas, mais ne s’accordent même pas parfaitement avec le texte qui nous en a été conservé dans l’Épistolaire du légat de Bithynie, puisque