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rentrent directement dans notre sujet. On peut s’étonner que M. Duruy, qui semble entreprendre une sorte de réhabilitation de l’administration de Domitien, « ce prince ferme et vigilant, » ait omis de mentionner l’incomparable page d’histoire que lui fournissaient les bronzes de Salpensa et de Malaga.

Vers la fin d’octobre 1851, on découvrit près de cette dernière ville, dans un lieu appelé Barranco de los tejares (fossé de la tuilerie), deux tables de bronze portant des inscriptions latines : l’une comprenant deux colonnes de texte, l’autre cinq. Ces deux monumens indiquent eux-mêmes leurs provenances : la plus petite concerne le municipe de Salpensa en Bétique (Andalousie), près de la moderne Utrera, à Tasalcaçar, vers Coronil ; l’autre le municipe de Malaga. Les deux actes publics qui y sont relatés ont été rédigés entre les années 82 et 84 de notre ère, par conséquent sous le règne de Domitien. Ce sont des textes de lois constituant le droit de latinité accordé à ces cités, établissant l’exercice des libertés civiles et politiques les plus étendues, nous faisant connaître enfin le mécanisme des institutions municipales qui les régissaient. Nous y voyons des peuples jouissant de la plénitude des droits civils conférés par la constitution romaine, ayant la faculté de se réunir en assemblées publiques, élisant chaque année leurs magistrats, duumvirs, édiles et questeurs, possédant en outre un conseil de décurions, dont la liste était réformée à l’époque du cens par les duumvirs. Ces magistrats, de concert avec le conseil des décurions, rendent la justice, font exécuter les travaux, veillent à la police, et tout cela sans qu’on voie l’intervention du gouverneur de la province, sans qu’on sente la main du pouvoir central. Il est évident pour nous que ces municipes nous offrent l’image d’une république policée et prospère, que la vie municipale politique y était active, heureuse et libre, et que la cité romaine, comme plus tard les riches villes lombardes et flamandes du moyen âge, répondait dans ses étroites limites à l’idée, au sentiment et au besoin de la patrie.

Les provinces du sénat à l’avènement de Trajan étaient, comme à la mort d’Auguste, de deux sortes : celles qui étaient gouvernées par un proconsul, personne deux fois consulaire : c’étaient l’Afrique et l’Asie. Chacun d’eux avait sous ses ordres un certain nombre de légats qui l’aidaient dans l’administration judiciaire surtout, un questeur qui s’occupait des finances, c’est-à-dire de la levée des impôts directs. Les autres provinces sénatoriales étaient d’un rang inférieur. Elles étaient gouvernées par d’anciens préteurs portant cependant le même titre de proconsuls. La Narbonnaise était la seule province sénatoriale de la Gaule. Le sénat avait l’administration exclusive de ses provinces, et les revenus en étaient versés dans l’ancien œrarium ; elles n’avaient pas de légions, et les