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leur parti, leurs propres opinions politiques ou religieuses ; ils se sont abandonnés à cette pente séduisante qui entraine les meilleurs esprits vers l’allusion, — cette mortelle ennemie de la vérité historique, — et dans ces tableaux du passé, que l’imagination, bien plus que les informations consciencieuses, composait et ornait avec art, ils ont cru pouvoir nous montrer comme dans un miroir le reflet ou la peinture des hommes et des événemens contemporains. D’autres encore, — et c’est le plus grand nombre, — n’ont pas manqué l’occasion de faire servir la Rome impériale à leur dépit, la Rome républicaine à leurs espérances, sans se douter, — tant était grande leur ignorance, — que, sous leur plume habile, parfois même autorisée, littérairement du moins, rien n’était oublié que l’auguste vérité. Nous assistons fort heureusement à la fin de ces exercices ingénieux. On prend une idée plus saine et plus haute de l’histoire, on s’aperçoit que ce n’est pas un pamphlet, que César n’est pas Napoléon et que les neveux de l’un et de l’autre se ressemblent moins encore. Certaines vérités élémentaires se répandent déjà dans le public intelligent. On sait par exemple que ce sont les légions, et plus encore les provinces foulées pendant les deux derniers siècles de la république par les proconsuls, que c’est en un mot l’univers souffrant de l’oppression sans appel de trois cents familles souveraines qui ont fait l’empire, — que les crimes des césars, si odieux qu’ils soient, ne sauraient seuls remplir la scène du monde ; on en vient enfin à demander à l’écrivain non plus ses opinions, mais l’exactitude du récit ; aussi bien ses préférences personnelles ne nous touchent-elles plus aujourd’hui. Nous voulons d’abord des faits bien connus de ceux qui se donnent la tâche de les raconter ; on exige, — qu’on nous passe cette expression, — la photographie de Rome, car nous n’en avons eu sous les yeux jusqu’à ce jour que l’infidèle image. Déjà, pour ce qui regarde l’histoire moderne, les livres et les leçons des généralisateurs ont fait leur temps ; l’École des chartes les a frappés au cœur. On a requis pour l’œuvre nouvelle de notre histoire nationale des hommes froids et résolus auxquels ne coûtent ni la patience, ni la peine ; on leur a demandé moins de qualités brillantes peut-être, car il faut moins de pénétration pour chercher la vérité que pour la deviner et plus d’habileté pour la déguiser que pour la dire. C’est donc à la poursuite exclusive et à l’exposé méthodique des faits que l’historien a dû appliquer toutes ses facultés ; c’est aujourd’hui le point essentiel, et, si le talent est toujours de mise, hors de la vérité le talent seul est dépensé en pure perte, et, n’étant plus de saison sans elle, il devient presqu’un défaut et souvent un danger.

L’histoire romaine, plus difficile à étudier peut-être, a été plus