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Il n’y a donc pas lieu de se prosterner devant l’idole des partisans de la démocratie à outrance. En conservant le suffrage universel, qui est notre loi, et qui devra rester notre loi tant qu’il n’aura pas mis en péril notre honneur, notre liberté et notre patrie, il faut le traiter, non comme un mal nécessaire, — il n’y a jamais de mal nécessaire, — mais comme une institution féconde en bons comme en mauvais résultats, et dont il est juste et sensé d’entreprendre la réglementation et même la réforme, quand l’expérience en a fait voir les abus et les dangers. Nous ne connaissons qu’un parti qui ait lieu de se fier au vote populaire sans réserve ; c’est le bonapartisme, d’abord parce qu’il est de tous les partis celui qui abuse le plus de son inexpérience et de son engoûment superstitieux pour les noms, ensuite et surtout parce qu’une fois porté au pouvoir par le suffrage universel il ne craint pas de prendre toutes ses sûretés contre un retour de fortune électorale. Celui-là ne fera jamais la sottise de le mutiler ; il lui suffit de le fausser en le maintenant dans l’ignorance et l’oppression. Il laisse à d’autres la difficile et puérile tâche d’irriter le monstre en le piquant ; lui le dompte et l’enchaîne en le couvrant de fleurs. S’il n’a pas de leçons de moralité politique à nous donner, tâchons de profiter de sa parfaite intelligence des imperfections du suffrage universel.

En conséquence, nous estimons que ce serait perdre son temps que d’opposer au projet de loi électorale de la commission des protestations et des fins de non-recevoir. Il faut le prendre tel que nous l’a fait la situation politique du pays et du parlement, et voir comment il pourrait être accepté par une majorité conservatrice et libérale tout à la fois. Nous nous bornerons, dans notre rapide examen, aux trois ou quatre grandes dispositions de la loi concernant l’âge, le domicile, le siège de l’élection et les conditions de l’éligibilité. Il est inutile d’insister sur la condition d’âge, puisque la commission la ramène à la limite de vingt et un ans. Nous voulons seulement rendre justice à la pensée sage et vraiment politique qui l’a inspirée, et à laquelle la minorité s’était associée. L’interdiction du vote sous le drapeau n’est ni la seule ni la meilleure, raison qui avait d’abord décidé la commission à élever l’âge de l’électoral à vingt-cinq ans. C’est que, si l’on est déjà citoyen avant cet âge, on ne l’est guère dans les conditions qui assurent l’indépendance et la sagesse du vote. Dans notre société française, on n’a pas généralement de position faite avant cet âge ; on vit encore dans la famille, et si l’on n’y vit plus, on en dépend encore plus ou moins. C’est quand l’éducation professionnelle est achevée, quand le jeune homme, ouvrier, commerçant, industriel, élève des écoles, est devenu par le mariage ou par un établissement quelconque chef de famille ou chef de maison, qu’il a vraiment son autonomie complète. Est-il besoin