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justement acquise par M. Freytag n’eût pas permis de le laisser passer avec indifférence, et on y retrouverait certainement plusieurs de ses qualités d’observateur et de peintre habile. Je doute cependant qu’il eût fait ce qu’on appelle sensation. Il y en a tant d’autres comme lui, qui le valent ou même qui valent mieux encore ! Cela rentre dans le genre de Walter Scott, avec un peu plus de réalisme historique, un peu moins de subtilité sentimentale, cela n’en diffère pas essentiellement. Il est toutefois une autre considération, sur laquelle nous reviendrons en finissant, et qui justifie l’attention proportionnelle que nous voulons aussi lui accorder.

Les amateurs des récits de cape et d’épée seraient satisfaits en lisant le Nid des Roitelets. Plus le roman avance, plus il est plein de plaies et de bosses. La descendance d’Ingo et d’Ingraban était devenue une famille nombreuse et puissante, bien qu’affaiblie par le partage continu des domaines et aussi par une dévotion héréditaire qui poussait chaque génération à son tour à donner de grands biens à l’église. A la suite d’une tragédie domestique, la coutume s’était établie de destiner au couvent ou au sacerdoce le fils aîné de la famille. Immo, le héros de cette nouvelle histoire, faisait son apprentissage comme novice dans le célèbre cloître de Herolsfeld, au confluent de la Geisa et de la Fulda. C’était à la fois une forteresse et un gros bourg que ce cloître. L’abbé avait les revenus et la puissance d’un prince. Les vastes possessions de l’ordre étaient disséminées depuis la Hesse jusqu’au pays bavarois. Des reliques, parmi lesquelles on citait celles de saint Meginhard (le Memmo d’Ingraban), attiraient de loin les pèlerins et leurs offrandes ; mais l’antique ferveur s’était bien relâchée. L’abbé était un épicurien, la plupart de ses moines des gaillards peu édifians, et si quelques-uns d’entre eux se montraient plus sévères, ce n’était point la piété, c’était l’ambition, la soif du pouvoir, le désir d’augmenter indéfiniment la richesse du couvent, qui les possédaient. Le cloître avait aussi à se défendre contre les envahissemens des seigneurs temporels, ses voisins, contre les empiétemens de l’archevêché d’Erfurt et même contre la politique des rois de Bavière, qui travaillaient à étendre leur suprématie sur toutes les autonomies locales.

Immo n’était parmi les moines qu’à contre-cœur. Sa mère, veuve et dévote très timorée, croyait son salut et celui de feu son époux intéressés à ce que son fils aîné reçût avec soumission la tonsure définitive ; mais d’instinct le descendant d’Ingo et d’Ingraban était un guerrier, la vie monastique lui répugnait profondément, il devait seulement à son séjour dans le cloître une instruction supérieure à celle de la plupart de ses compatriotes.