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à se liguer contre lui. Une seule chose peut le sauver : qu’il se réfugie au Kœnigsburg, où Gisèle est libre et reine, et où il ne tardera pas à régner lui-même, comme il règne déjà sur un cœur que son image a toujours rempli. Le roi Visino est mort, mais nul ne sait au juste dans quelle mesure sa mort a été naturelle. Devant cette belle reine qui lui offre la sécurité, la richesse, la royauté, la gloire, Ingo reste un moment comme étourdi. Tout à coup d’en bas il entend la voix de son enfant. Ce doux son le rappelle à lui-même, et il proteste de son amour fidèle pour Irmgard. La reine furieuse lui déclare qu’elle ou lui est désormais de trop sur la terre, et, comme il demeure inébranlable, elle le quitte la rage dans le cœur.

Peu de temps après, Burgundes et Thuringiens envahissaient la vallée de l’Idis. Le burg d’Ingo était assiégé par une armée nombreuse à laquelle la reine semblait avoir communiqué ses fureurs. Ses Vandales, Berthar et lui-même firent des prodiges de valeur. Deux fois l’assaut fut repoussé. Le vieil Answald, accouru sur les lieux, essaya en vain de s’interposer. Il put encore arriver jusqu’à sa fille, qui se jeta dans ses bras en lui criant : Bénis-moi, mon père, embrasse ma mère ! et rentra précipitamment sous le toit où l’on venait de déposer son Ingo blessé à mort. Les assiégeans avaient réussi à mettre le feu à la forteresse de bois. Des combats épiques, rappelant la fin du Niebelungen-Nôt, se livrèrent encore sur le seuil de la demeure que les flammes dévoraient déjà. Wolf succomba en défendant son seigneur. Un terrible orage vint mêler son fracas aux horreurs de cette lutte désespérée. Quand enfin Gisèle pénétra dans la chambre reculée où l’on avait porté les blessés, elle aperçut le vieux Berthar étendu mort sur son bouclier au pied du lit de son maître bien-aimé, Irmgard inclinée sur ce lit tenant dans ses mains celles d’Ingo, tous deux frappés par la foudre. La prédiction de la prophétesse alemane était accomplie. Le dragon magique consumait Ingo et son bonheur. — Pourquoi les dieux n’ont-ils pas permis que ma place fût là ? — proféra Gisèle d’une voix farouche.

Cependant au plus fort de la mêlée Irmgard avait confié son enfant et le talisman à sa fidèle Frida. Celle-ci parvint à s’échapper avec son précieux fardeau. C’est tout ce qu’on en put savoir, car, malgré les recherches les plus actives de Théodulf et de la reine, personne ne put leur dire ce qu’était devenu le fils d’Ingo.


III

En racontant l’histoire d’Ingo, la plus originale des trois, nous n’avons pu donner qu’une très faible idée de ce qu’elle a d’étrange, d’agreste à la fois et de rude. Elle fait penser à chaque instant à ces grands bois peu fréquentés où, quand on s’y promène au