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de la grande bataille, finirent par le rejoindre. À leur tête était un vieux guerrier nommé Berthar, type du vassal dévoué corps et âme à son seigneur, longtemps précepteur et protecteur, désormais l’intime conseiller de celui qu’il reconnaissait pour son roi. D’abord Answald résolut de leur accorder aussi l’hospitalité ; mais les relations entre les nouveau-venus et les habitans de la principauté ne tardèrent pas à devenir difficiles. Il y avait des conflits de coutumes. Dame Gundrun, contrariée dans ses vues sur sa fille et dans ses idées de ménagère, Théodulf, plus jaloux que jamais, attisèrent le feu de la discorde. En Vain Irmgard et sa fidèle suivante Frida, dont Wolf était fort amoureux, firent de leur mieux pour l’éteindre. Le bonhomme Answald prit quelque temps le parti de ses hôtes, mais quand sa femme lui eut révélé l’amour d’Ingo pour sa fille, il se refroidit a leur égard et désira lui-même qu’ils partissent. Il n’admettait pas la possibilité d’un mariage entre sa riche héritière et ce détrôné, fort brave sans doute et de naissance illustre, mais qui n’avait ni sou ni maille. Le roi Visino lui faisait savoir qu’il ne voyait pas sans déplaisir ce rassemblement de guerriers nomades. Enfin Théodulf et Ingo, à la suite d’un différend de chasse, s’injurièrent et durent vider leur querelle en combat singulier. Théodulf, grièvement blessé, en revint à grand’peine, et, comme Irmgard refusait d’aller le soigner comme sa fiancée, Answald furieux dénonça l’hospitalité à Ingo.

Celui-ci savait déjà ce qu’il devait faire. Vers les sources de l’Idis, petit affluent du Mein, se trouvait un territoire peu étendu, mais boisé, fertile et propre à l’élève du bétail, dont les habitans avaient perdu leurs seigneurs. Inquiets de leur position isolée entre les Burgundes et les Thuringiens, ils désiraient s’inféoder à une race noble, étrangère qui les protégerait contre leurs ennemis[1]. Ingo et ses Vandales défilèrent donc fièrement pour aller s’établir en protecteurs et seigneurs de ce pays sans maîtres. Une partie de la population, devenue trop nombreuse pour le territoire restreint d’Answald, devait bientôt les y rejoindre ; mais auparavant, esclave de sa parole, Ingo voulait se présenter à la cour du roi Visino.

L’hiver était venu. La neige couvrait la terre de son blanc manteau. Le matin qui suivit le départ des Vandales, Ingo et Irmgard, amenés par un mystérieux pressentiment, se rencontrèrent une dernière fois à l’endroit où ils avaient échangé leurs premiers aveux.

« — Mon roi s’en va vers ses ennemis, dit tristement Irmgard,

  1. Tout cela est strictement conforme à ce que nous savons aujourd’hui des vraies origines de la féodalité.