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d’elle bruissait un torrent, sur sa tête planaient les nuages dorés du matin. Elle monta sur une pierre et chanta aux rochers et aux eaux bouillonnantes l’air du chanteur et les paroles qu’elle avait entendues dans la salle du festin. Elle répéta joyeusement ; ce qu’elle avait retenu de l’improvisation poétique de Volkmar, et, quand elle en vint au saut désespéré du héros dans le Rhin, elle se complut dans cette idée et elle chanta avec enthousiasme : — O vous, petits oiseaux des bois, sages messagers des dieux, et vous, petits sylphes cachés sous les fougères, écoutez encore une fois. — Et elle répéta les paroles. Et quand elle fut au moment où le héros disparaissait dans le fleuve, cette disparition l’attrista, et, comme elle était très sensible, son émotion s’épancha en de nouvelles paroles, et elle reprit la complainte du chanteur. La voix de la jeune fille vibrait claire et forte, accompagnée par le concert des oiseaux de la forêt et par le léger murmure d’une source voisine.

« Alors elle vit non loin d’elle une pierre rouler dans le torrent, elle regarda de ce côté et découvrit à ses pieds une forme humaine, enveloppée du tissu aérien des nixes et qui s’appuyait sur un tronc d’arbre. Le héros dont elle annonçait la gloire aux forêts était là, près d’elle, et, comme elle reculait effrayée, elle entendit sa voix suppliante : — Chante encore, jeune fille, et que j’entende de ta bouche ce qui me rend heureux. Le son qui sort de tes lèvres m’est plus doux que tout l’art de Volkmar. Lorsque le chanteur chantait et que la salle de ton père retentissait d’acclamations, c’est à toi que je pensais tout le temps, et ce qui surtout me rendait heureux et fier, c’était de pouvoir me dire que tu étais là et que tu entendais.

« — La peur que j’ai ressentie en t’apercevant a fait envoler les paroles, répondit Irmgard, — et elle tâcha de reprendre contenance quand elle le vit se rapprocher d’elle. — Je t’ai parlé naguère plus hardiment, reprit-elle en faisant allusion à un entretien qu’elle avait eu avec lui avant de savoir qui il était. Ne te moque pas de moi. Parmi nous, gens des forêts, la parole va tout droit, et nos pensées sont simples ; mais je suis triste à l’idée que tu entends pour la seconde fois de ma bouche ce que tu sais déjà. Si j’avais deviné qui tu étais, j’eusse mieux caché la bonne opinion que j’ai de toi, et maintenant je suis toute honteuse en pensant que tu m’épies.

« — Ne me cache pas tes bonnes intentions, Irmgard, dit le jeune homme d’un ton suppliant. Crois-moi, un banni n’entend pas souvent des paroles affectueuses sortir de la bouche d’une femme de cœur, lors même que le chanteur le loue et que son hôte boit en son honneur ; il n’en est pas moins sans famille, sans amis ; un homme considérable répugne à donner sa fille à celui.qui n’a rien, et le fugitif ne laisse pas de fils sur la terre pour raconter ses exploits.