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des longueurs et qu’on se noie çà et là dans des subtilités de sentiment et des minuties de description. Les traits par lesquels se distinguent les nombreux personnages du récit sont d’un dessin raide, presque hiératique, ce qui n’empêche pas qu’on éprouve quelque peine à les grouper tous distinctement dans sa mémoire. Malgré ces défauts, on doit reconnaître dans cet ouvrage la main d’un artiste et le coup d’œil d’un observateur. M. Freytag est réaliste, mais il choisit ses réalités et ne prétexte pas les exigences du réalisme pour nous promener au milieu des vilenies. Il est humoriste sans excès ; il nous initie à des existences, à des mœurs, à des intérêts, que nous ne connaissons guère. Une des choses par exemple qui étonnent le lecteur français de ces fidèles tableaux de mœurs allemandes, c’est le rôle fréquent de la susceptibilité dans les rapports des personnages entre eux et comme moyen d’amener de nouveaux incidens. Par momens, le romancier cède le pas à l’auteur dramatique, et c’est surtout alors qu’il est émouvant. L’inspiration morale du livre est saine, sans puritanisme comme sans indulgence pour le mal. En un mot, Doit et Avoir est une œuvre remarquable qui dépasse le menu fretin des innombrables productions que notre temps voit éclore sous le nom de romans, et dont les spécimens vraiment distingués sont presque aussi rares en Allemagne qu’en France.

Ce n’est que treize ans plus tard que M. Freytag a publié un nouveau roman, le Manuscrit perdu, qui nous offre un tableau fidèle de la vie privée des savans en Allemagne. Un professeur d’université, en examinant de vieux parchemins, découvre une liste d’objets précieux qu’un moine du couvent de Rossau déclare avoir déposés en lieu sûr, afin de les soustraire aux Suédois de Baner. Dans ce trésor est compris un manuscrit complet des Annales et des Histoires de Tacite, dont il ne nous reste, comme on sait, qu’environ la moitié. Transporté de joie, le professeur part pour Rossau à la recherche du manuscrit, dont la publication doit le couvrir de gloire. Après bien des alternatives d’espoir et de découragement, et toute sorte de péripéties gaies ou tristes, il trouve non pas le manuscrit qu’il cherchait et qui est irrévocablement perdu, mais une femme jeune et belle qu’il épouse, et qui le console de l’insuccès de ses recherches. Dans ce second roman de M. Freytag, la note humoristique est beaucoup plus accentuée que dans le premier.

En outre de ces deux romans et de ses productions dramatiques (Valentine, les Journalistes, etc.), le même auteur a composé une série de récits de moindre étendue, de moindre valeur aussi, dont les sujets sont empruntés à l’histoire de l’Allemagne au moyen âge et à l’époque de la réformation. Ces tableaux historiques forment comme un prélude de l’œuvre qui va nous occuper et qui se