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parsis. Une coupole grossière s’élève au milieu, portée sur quatre piliers et surmontée aux quatre angles d’une sorte de cheminée où, les jours de grande fête, la flamme sacrée flamboie en l’honneur de Zoroastre. Un trident qui poignarde l’air de ses trois pointes décore le fronton de l’édifice. Au-dessous de la coupole, la dalle est creusée en forme de cuvette et percée d’un trou qui livre passage aux gaz souterrains. Le parsis voulut bien y mettre le feu pour mon édification particulière. C’est là qu’on brûlait autrefois les restes des pèlerins morts en odeur de sainteté. Des espèces de niches qu’on voit encore le long, des murs leur servaient de retraites pendant leur vie.

Les phénomènes naturels qu’exploite si bénévolement au profit de sa crédulité la secte des parsis ne sont pas les seuls qu’on rencontre aux environs de Bakou. A côté des feux de terre, il y a, si j’ose ainsi parler, les feux de mer. Ce n’est pas la moindre curiosité du pays. Si l’on s’éloigne du port à la distance de 3 ou 4 verstes, en ayant soin de se tenir à un demi-mille du rivage, on voit tout à coup la mer prendre une teinte huileuse. Une senteur caractéristique saisit vivement l’odorat et annonce la présence du naphte. Quelques centaines de mètres plus loin, on a l’explication de ce phénomène. De nombreuses sources de naphte jaillissent du fond de la Caspienne ; le liquide, en vertu de sa faible densité, remonte et bouillonne à la surface. En jetant sur cette nappe d’huile quelques poignées d’étoupe allumée, on peut se donner le plaisir de ressusciter le Phlégéton : la mer prend feu comme un bol de punch et brûle de place en place avec un léger crépitement, en formant une série d’îlots enflammés. Si le temps est au calme, l’incendie peut durer plusieurs jours ; il ne s’éteindra qu’au premier coup de vent.

Il en est un peu des spectacles de la nature comme des chefs-d’œuvre du théâtre. Quelque merveilleuse que soit une pièce, on ne la saurait voir toujours : à la seconde représentation, l’intérêt languit, il s’épuise à la troisième. Les feux de Bakou rentrent dans la règle générale ; je ne tardai pas à m’en apercevoir. L’impatience où j’étais d’ailleurs d’arriver au terme d’un voyage que les rigueurs d’un hiver excessif avaient déjà prolongé outre mesure me faisait souhaiter de dire un prompt adieu au Caucase. C’est ce que je fis avec bonheur le 1er avril, lorsqu’après quinze jours d’attente je pus enfin prendre le bateau qui relie Bakou au Ghilan[1]. Deux mois s’étaient écoulés depuis que j’avais quitté la France. La traversée du Caucase m’avait coûté à elle seule plus de six semaines.


JULES PATENOTRE.

  1. Province du nord de la Perse.