Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour Loong-kiao. En attendant le résultat de l’entrevue des envoyés impériaux avec le général Saïgo, ordre est donné aux tribus de déposer les armes et de retourner à leurs travaux habituels. Le gouverneur veillera à ce que personne n’ose lui désobéir. »

Cette proclamation est d’un considérable intérêt, car pour la première fois elle fait connaître l’opinion de la Chine sur cette délicate question de Formose. La politique que la cour de Pékin semble vouloir suivre est bien celle qu’on lui supposait : nier au Japon le droit d’intervenir dans les affaires d’une colonie chinoise, mais sans mettre aucune précipitation ai le déclarer, afin d’éviter une guerre. En fait, les Chinois n’ont pas vu avec un trop grand déplaisir les Japonais venir à Formose assouvir leurs haines contre les meurtriers de leurs compatriotes ; mais ils n’entendent nullement les y laisser s’établir. La lutte entre les deux nations n’éclatera que si le Japon manifeste clairement la résolution de rester maître du territoire conquis ; ce qu’il y a d’extraordinaire en tout ceci, c’est que le général Saïgo, parfaitement installé à Loong-kiao, se garde bien d’indiquer les intentions définitives de son gouvernement.

Inutile de dire que la démarche des hauts-commissaires chinois auprès du général ne produisit aucun heureux résultat. Depuis lors la Chine arme, achète des canons, et fortifie les endroits faibles de son vaste littoral. Si le Céleste-Empire n’a pas été assez fort pour dompter, depuis deux cent cinquante ans qu’il est à Formose, quelques misérables tribus, peut-il espérer d’y vaincre les Japonais ? Nous n’osons résoudre cette question dans un sens négatif, car les ressources de la Chine sont immenses, et le nombre de ses soldats incalculable. Toutefois son armée est mal entretenue, mal payée et sans aucun sentiment du point d’honneur militaire. C’est tout le contraire dans l’armée du Japon, où l’armement est parfait et la bravoure éclatante. On ferait mieux cependant, ce nous semble, d’abandonner l’idée d’une conquête fort inutile. Après s’être comporté glorieusement à Formose, le Japon peut, dans un avenir plus ou moins prochain, essayer de nouveau ses armes en Corée, où son honneur a aussi de graves injures à venger. Les Coréens ne sont pas moins barbares, moins hostiles aux étrangers que ne le furent les Boutans à jamais écrasés ; si le Japon avait la gloire de triompher des premiers comme il a triomphé des seconds, il serait le seul peuple d’Asie qui aura combattu pour le seul triomphe du progrès et de la liberté.


EDMOND PLAUCHUT.