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peine à éviter le découragement. Il y a des directeurs animés du zèle le plus louable qui ont renoncé à tout espoir. Si l’aumônier ne se rebute jamais, c’est qu’il est soutenu par sa foi ; il a pourtant des difficultés bien plus grandes que celles du simple directeur laïque. Deux ennemis l’attendent au seuil de la cellule, l’hypocrisie et le cynisme. Que de prudence il lui faut pour ne pas être dupe de l’un ! quelle douceur pour triompher de l’autre ! il résulte de l’enquête si attentive de M. d’Haussonville que, dans cette lutte contre les pires instincts de la pire humanité, ce sont les religieuses qui obtiennent les meilleurs succès. Le rapporteur a pu constater quelle impression de respect elles font pénétrer peu à peu chez les créatures les plus dégradées ; leurs soins, leur dévoûment, ce mélange de douceur et de dignité que rien n’altère jamais, finissent presque toujours par triompher de l’endurcissement du cœur. Et ce ne sont pas là des appréciations complaisantes, il y a eu des épreuves terribles qui ont fourni des preuves irrécusables. Sous la commune, les détenues de Saint-Lazare ont aidé spontanément la supérieure à se soustraire aux violences des forcenés. Une seule défection eût fait échouer le complot ; aucune d’elles n’a failli ; elles ont mené jusqu’au bout cette œuvre d’une si touchante gratitude, et la supérieure a été sauvée. M. d’Haussonville signale ici un fait digne d’attention : dans un temps où la défiance de l’élément ecclésiastique est devenue chez certains esprits une sorte de maladie, au milieu de tant de réformateurs qui déclament à propos de l’instruction, à propos des enterremens, à propos de tout, contre ce qui n’est point exclusivement laïque, nul n’a osé demander jusqu’à présent que la religion fût absente des prisons. L’emprisonnement laïque, comme l’appelle M. d’Haussonville, est une formule qui manque au vocabulaire des discussions quotidiennes. Pourquoi ? C’est que l’idée de l’amendement moral du condamné, à peu près inconnue au XVIIe siècle, tout à fait étrangère au XVIIIe, est aujourd’hui la pensée constante de quiconque s’occupe de questions pénales. C’est ici l’un des points où la déclamation révolutionnaire est forcée de s’arrêter sous peine de heurter un sentiment général.

Il nous serait facile d’extraire beaucoup d’autres détails curieux et instructifs soit du vaste tableau présenté un peu confusément par M. Albert Du Boys, soit du scrupuleux et méthodique rapport de M. le vicomte d’Haussonville. Nous n’avons rien dit des deux volumes que M. Du Boys a consacrés à l’histoire du droit criminel en Angleterre et en Espagne, nous avons négligé la comparaison établie par M. d’Haussonville entre les pénitenciers de la France et ceux des autres états de l’Europe. C’est que nous ne faisions pas œuvre de jurisconsulte ou de législateur ; simple critique attentif