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et d’inviter par son exemple les autres princes chrétiens à corriger dans leurs états tant d’injustes moyens de venir à la connaissance et au châtiment des crimes. » Il est vrai que la dédicace d’Augustin Nicolas ne parvint pas directement à son adresse ; l’auteur n’obtint pas la permission de publier son livre en France, il fut obligé de recourir aux presses d’Amsterdam. Cela se passait en 1682 ; six ans après, La Bruyère écrira ces mots : « la question est une invention merveilleuse et, tout à fait sûre pour perdre un innocent qui a la complexion faible, et sauver un coupable qui est né robuste. » Commentant lui-même cette terrible ironie par un trait plus mordant encore, il ajoutera : « Je dirai presque de moi : je ne serai pas voleur ou meurtrier ; je ne serai pas un jour puni comme tel, c’est parler bien hardiment. » On sent déjà les approches du XVIIIe siècle.

Comment parler du XVIIIe siècle sur ce point sans penser aux grands-jours ? On sait ce qu’étaient les grands-jours dans l’ancienne monarchie : une magistrature extraordinaire qui allait siéger dans telle ou telle province selon les circonstances, cassant les arrêts iniques et rétablissant le droit commun. Il y eut des grands-jours dès le XIVe siècle ; les derniers eurent lieu au XVIIe. Ceux qui furent tenus à Clermont en 1665 ont été rendus célèbres par ces spirituels mémoires de Fléchier retrouvés il y a trente ans, et dont la publication a été un véritable événement littéraire. Or les grands-jours de Clermont avaient réparé tant d’injustices, réprimé tant de tyrannies locales, que Louis XIV fit graver une médaille avec ces mots : sains provinciarum, repressa potentiorum auctoritas. C’est à l’histoire elle-même de frapper une médaille pour les réformateurs du XVIIIe siècle et d’y graver cette légende : salut du droit commun, répression de l’injustice et de la tyrannie des parlemens. On y lirait les noms de Montesquieu, de Beccaria, de Servan, d’Élie de Beaumont, surtout le nom de Voltaire. L’homme qui réhabilitait Calas, qui sauvait la famille Sirven, qui flétrissait les juges du chevalier La Barre, qui vengeait l’honneur de la France auprès de l’Europe en adressant au marquis de Beccaria sa Relation du procès d’Abbeville, qui prenait en main la cause du comte Lally-Tollendal, qui jugeait son procès, sa condamnation, sa mort, qui aidait le fils de la victime, le jeune comte Lally, à obtenir la cassation de l’arrêt inique, et qui, informé du succès sur son lit de mort, se ranimait tout à coup pour dicter ce billet : « Le mourant ressuscite en apprenant cette grande nouvelle, il embrasse tendrement M. de Lally, il voit que le roi est le défenseur de la justice, il mourra content, » — certes un tel homme a droit à la reconnaissance non-seulement des âmes libérales, mais des âmes chrétiennes, puisqu’il a réalisé parmi nous quelque chose de la divine parabole du Samaritain, Et ce n’est pas en lui un élan de