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Que de fois une loi pénale, une règle de procédure criminelle, excellente par l’intention, mais conçue avec imprévoyance ou rédigée d’une main maladroite, a fourni des armes contre la cause qu’elle devait servir ! Que de fois une réforme judiciaire née d’une inspiration libérale s’est tournée en instrument de tyrannie ! De même que la période du wergeld, malgré l’apparente grossièreté de ce système, a été un progrès sur la période de la mise hors la loi, de même dans les siècles qui ont suivi ces premiers temps du moyen âge, il n’est pas de coutume, pas de méthode, pas d’institution qui n’ait été, à l’origine et dans la pensée des fondateurs, la réforme plus ou moins habile des abus constatés, un élan plus ou moins efficace vers une justice meilleure. Les premières législations barbares qui autorisaient encore les guerres privées, et permettaient à l’offensé de se faire justice à lui-même, ne s’occupaient de l’homme qu’à l’état individuel sans songera l’intérêt de la communauté ; la législation féodale a été un progrès manifeste, puisqu’elle a commencé à rassembler les intérêts, à grouper les hommes, à faire des seigneurs et des vassaux une même famille où chacun, à des degrés divers, avait ses droits et ses devoirs. Tel est le principe et l’idéal de cette législation à l’heure où elle paraît. Cependant la législation féodale ne tarde guère à laisser éclater tous les vices dont elle renfermait le germe ; elle devient inique, oppressive, odieuse, elle le serait bien plus encore, si l’église n’intervenait en faveur des faibles. Le droit canonique, nouveau progrès, va tenir en échec le droit seigneurial. Rien n’est plus beau assurément que cette première inspiration de la justice ecclésiastique, l’esprit soumettant la force, l’amour désarmant la violence ; prenez garde pourtant : la justice ecclésiastique, elle aussi, aura ses mauvais jours, elle succombera aux tentations coupables, elle sera ambitieuse, cupide, despotique ; oubliant les préceptes de son divin maître, elle convoitera des pouvoirs que l’Évangile lui refuse. Alors il y aura un roi, un saint, pour la rappeler à l’ordre.

C’est une grande page dans l’histoire du droit que la scène de saint Louis et de l’évêque Guy d’Auxerre, si bien racontée par Joinville. On sait quelle arme était l’excommunication au moyen âge. La terrible sentence, qu’elle fût prononcée par le pape ou par l’évêque, pouvait entraîner les conséquences les plus graves dans l’ordre temporel. Ceux qu’elle atteignait, dit très bien M. Albert Du Boys, étaient comme frappés de mort civile. Ils ne pouvaient plus être ni témoins ni juges ; au bout d’un an et un jour, leurs biens étaient mis sous le séquestre, et ce séquestre durait jusqu’à ce qu’ils fussent réconciliés avec l’église. Que de périls dans cette application séculière d’une loi toute religieuse ! Que de tentations offertes soit aux