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septuplum punietur. » Et le Seigneur mit un signe sur Caïn afin que ceux qui le trouveraient ne le tuassent point. — Après quoi, le maudit s’éloigne, il prend femme, il a des enfans, il bâtit une ville. C’est la rançon du crime ici-bas, le voilà en paix avec les hommes ; Dieu s’est réservé le droit de le punir. Pareillement, dans les lois germaniques et Scandinaves, au fond de ces temps barbares d’où sortira l’humanité moderne, le rachat du meurtre, la composition pécuniaire, le wergeld, mettra fin aux vengeances privées et rétablira la paix parmi les hommes.

La paix, ce terme qui revient si souvent dans les vieilles législations barbares, marque nettement la principale préoccupation des sociétés primitives, le besoin de réprimer les vindictes particulières. Il y a toute sorte de paix, la paix du tribunal, la paix de l’armée, la paix du domicile, la paix des saisons, c’est-à-dire des temps consacrés à l’agriculture, la paix des lieux saints, c’est-à-dire des sanctuaires païens d’abord et ensuite des églises chrétiennes, enfin, et par-dessus tout, la grande paix du roi qui finit par absorber toutes ces trêves particulières. Eh bien l le wergeld, espèce de paix individuelle, composition pécuniaire d’homme à homme, promesse de concorde ou tout au moins d’oubli entre celui qui a reçu l’offense et celui qui l’a faite, — le wergeld est l’ébauche des institutions qui ont préparé l’établissement des lois civiles. La forme en est grossière autant que bizarre, elle prête aux interprétations les plus fausses, elle peut faire croire à l’historien superficiel que l’homme des premiers temps n’avait pas la moindre notion d’une loi supérieure, et que l’intérêt brutal lui tenait lieu de justice. Le savant tableau tracé par M. Albert Du Boys est la réfutation de ces erreurs, réfutation d’autant plus forte que l’auteur ne se préoccupe pas des écoles positivistes ; il n’écrit pas une thèse, il ne défend pas une cause, il rassemble impartialement les faits sans autre souci que de les expliquer par les transformations incessantes des sociétés humaines et de montrer en dernière analyse, malgré les faux pas ou les retours en arrière, le développement progressif des législations.

Il nous serait impossible de suivre M. Albert Du Boys dans tous les détails de cette histoire, indiquons au moins quelques-uns des résultats les plus curieux de son enquête. Un de ces résultats, c’est que parmi les lois ou procédures pénales les plus justement condamnées aujourd’hui, parmi celles-là même dont nous ne prononçons le nom qu’avec horreur, la plupart ont marqué un progrès à l’époque où elles furent établies. Elles ne sont devenues odieuses que pour avoir été détournées de leur application primitive et employées à un usage auquel le législateur ne les destinait pas.