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hors du droit commun celui qui aura rompu la paix. Écoutez la loi islandaise : « S’il se trouve quelqu’un d’assez insensé pour commettre un meurtre après avoir juré la paix, qu’il soit proscrit et marqué de l’anathème céleste, partout où les hommes poursuivent le loup, où les chrétiens visitent les églises, où les païens font des sacrifices, où les mères donnent le jour à des enfans et où les enfans appellent leurs mères, partout où le feu brûle, où le Finnois patine, où le sapin croît et où le faucon vole au jour du printemps, quand le vent vient enfler ses deux ailes et l’emporter dans les airs. » Est-ce qu’on n’entend pas retentir en ce poétique anathème le cri que le sentiment de l’ordre violé arrachait à Caïn ? N’est-ce pas là aussi le vagabond chassé de toute la terre, obligé de fuir partout la face de Dieu ? Il ne lui reste pas une place où il puisse marcher, s’asseoir, respirer l’air du matin, jouir de la clarté des cieux. Il est mis hors la loi, c’est-à-dire hors du monde.

Ainsi, l’idée de justice et l’idée de châtiment, attachées l’une à l’autre d’une façon indissoluble, voilà le point de départ de toutes les transformations que le droit criminel doit subir à travers les siècles. Nous avons dit le caractère auguste que présente cette première apparition de la loi d’en haut ; il est tout naturel pourtant que ces deux idées, malgré ce qu’elles ont de sublime, subissent longtemps de grossiers alliages au sein des sociétés informes. A l’idée de châtiment par exemple se joindra l’idée de vengeance. De là les ressentimens implacables, les haines héréditaires, les guerres privées de famille à famille se perpétuant de génération en génération ; de là aussi de nouveaux crimes engendrant des violences nouvelles. Cet homme mis hors la loi, le Caïn de la Genèse, l’outlaw des Anglais, l’homo faidosus de la loi frisonne, ce criminel exposé aux vengeances permises est comme une tentation offerte à d’autres malfaiteurs. Les lois des premiers temps s’efforcent bien de restreindre le droit de vengeance aux fils ou aux plus proches parens de la victime (ultio proximi) ; mais cette restriction même, qu’il a été nécessaire d’édicter, montre assez quels désordres résultaient de cette justice irrégulière, justice vagabonde comme celui qu’elle pourchasse. Alors s’établit peu à peu la coutume du rachat du crime. C’est la seconde étape, et point du tout la première, dans ce développement confus des premiers âges. On en trouve encore la trace dans l’histoire de Caïn. Lorsque le meurtrier d’Abel, se sentant chassé de toute la terre, obligé de fuir partout la face de Dieu, lui crie avec désespoir : « Donc quiconque me trouvera me tuera, omnis igitur qui inveniet me occidet me, » le Seigneur lui répond : « Non, cela ne sera pas. Quiconque tuera Caïn en sera puni au septuple. Nequaquam ita fiet, sed omnis qui occident Cain