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qu’en vertu des nouveaux traités il a le droit de relever sa grande forteresse maritime, et alors il n’y a plus qu’à reconstruire des forteresses et des vaisseaux et à refaire la cité guerrière. Ou bien il peut dire que Sébastopol ne sera plus une ville exclusivement militaire et que sa rade, de 6 kilomètres de long sur 900 mètres de large, l’une des plus belles de l’Europe, est ouverte au commerce de toutes les nations ; mais le gouvernement hésite. On prétend que la prospérité d’Odessa souffrira de celle de Sébastopol, de même que les petites villes de Crimée, Kertch ou Féodosie, ont souffert du développement d’Odessa. Cette théorie n’est applicable qu’aux pays où les élémens de prospérité sont peu considérables ; or les bras et les capitaux peuvent être appelés bientôt sur les bords de la Mer-Noire avec une telle énergie que non-seulement Sébastopol, mais Odessa même, mais les plus petites villes de la Crimée en auront leur part. Une période historique nouvelle peut commencer pour la Crimée, celle de la colonisation par les Russes ; l’émigration tatare semble lui préparer les voies. Sébastopol, devenu port de commerce, en moins de dix années, ne serait plus reconnaissante. De grands établissemens industriels remplaceraient bientôt dans la rue Catherine les hôtels détruits. Le port se repeuplerait, et dans son développement indéfini on peut prévoir que Balaklava, relié à la baie du Sud par un railway, formerait une sorte déport auxiliaire, la Ciotat d’une Marseille taurique. La mise en activité du chemin de fer conduira en Crimée comme partout à la construction de routes et de chemins. L’agriculture et la viticulture, trouvant enfin les débouchés qui leur manquent, prendraient une nouvelle énergie. Une aristocratie commerciale pourrait bâtir ses maisons de plaisance dans ces landes de Chersonèse où s’élevèrent dans l’antiquité les villas des Grecs et, il y a vingt ans, les datchas des officiers russes. Un centre florissant communiquerait une vitalité inconnue à toute la Crimée, et cette terre, sans cesse relapse dans la barbarie, serait définitivement conquise à la civilisation. La ville n’a aujourd’hui que 6,000 âmes, mais quel chiffre n’atteindrait pas la population d’une cité où les intérêts ne demandent qu’à se fixer dès qu’ils seront un peu rassurés sur l’avenir ! A certains égards, Sébastopol est mieux situé qu’Odessa, plus rapproché de Constantinople et de l’Asie. S’il avait la chance de jouir, comme en a joui pendant quelque temps Odessa, d’un port franc, sa prospérité serait certaine. Alors l’ancienne cité grecque de Cherson revivrait dans Sébastopol, et la côte héracléote reverrait les navires marchands de Constantinople et de l’Anatolie.

C’est une situation bien étrange que celle de notre ancienne ennemie. Sur les frontières de la France et de l’Allemagne, des villes