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Kief tout ce qui lui tomba sous la main en fait de reliques, d’icônes, de vases sacrés et d’ornemens d’église. En suivant le rivage escarpé de la mer, on trouve les restes d’un autre sanctuaire ; le seuil, les fondations, une partie du parvis se sont conservés, et l’on enjambe çà et là des fûts de colonnes, des chapiteaux de marbre, qui tantôt ressemblent à ceux des temples païens, tantôt sont ornés de croix et de monogrammes byzantins. On prétend que d’autres églises se sont abîmées dans la mer avec une partie de cette falaise rocailleuse que les flots rongent incessamment. Dans les fouilles qu’a nécessitées la construction de la cathédrale, on a mis à jour une quantité d’ossemens humains. On les a réunis pêle-mêle dans des espèces de grottes qui datent des temps primitifs, et, laissant à Dieu le soin de reconnaître les siens et de distinguer entre chrétiens et païens, on a planté la croix sur le tout.

Cherson a été, plusieurs siècles avant l’ère chrétienne, une puissante colonie héracléote, une des plus florissantes cités helléniques du Pont-Euxin. Fondée d’abord dans les environs du monastère de Saint-George, on l’a transportée ici, et, pour la protéger contre les barbares, on a isolé la Chersonèse par une sorte de muraille chinoise qui allait de Balaklava à la baie du Sud. Cherson, défendue en outre par une enceinte et des tours puissantes, a dû avoir jusqu’à 5,000 maisons et 50,000 habitans. Dans les baies nombreuses de ce rivage fourmillèrent les vaisseaux marchands d’Athènes, de Byzance, de Rome, de la Syrie et de l’Égypte. L’ancienne église de la Mère-de-Dieu occupe le centre de l’agora, où les citoyens discutaient les lois et les traités de commerce, décidaient la paix ou la guerre avec les Scythes ou leurs rivaux à demi grecs de Panticapée. Sur cette place, qui s’élevait comme une terrasse entre la mer et le reste de la cité (celle-ci occupait une dépression de terrain), de grands orateurs obscurs ont dû remuer les passions, enflammer les patriotiques colères. Cette liberté républicaine, que depuis les Grecs cette terre n’a plus revue, se conserva pendant toute la durée de l’empire romain et sous les vassilis de Byzance. Cherson a été l’alliée, la vassale, si l’on veut, non la sujette de Constantinople. L’empereur Constantin Porphyrogénète, au Xe siècle, ne voit qu’un moyen de punir les Chersonésiens de leurs rébellions : c’est de saisir leurs vaisseaux dans les ports de l’Asie-Mineure et d’interdire les envois de blé en Chersonèse. Cette dernière prescription prouve qu’alors, pas plus qu’aujourd’hui, la Crimée n’était très fertile en céréales : Cherson, comme maintenant Sébastopol, dépendait d’autrui pour sa subsistance. Le même écrivain nous initie à cette existence active, souvent troublée, des Chersonésiens. Il nous apprend l’histoire de leurs magistrats, qui, suivant son expression, portaient la couronne, comme de vrais souverains. Tels furent les