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première église du pays, une église que sa situation rendait inaccessible comme un château féodal et qui a survécu à toutes les révolutions de l’Orient. Il me parla de la Mer-Noire et de ses colères ; mais, « quand on a la foi en saint George, ajouta-t-il, on ne court aucun péril ; si on n’a pas la foi, rien à faire, on est perdu. » Et à quelque distance de la plage il me montra une grande pierre isolée : c’est le rocher de l’apparition. Un jour, un navire grec fut assailli par la tempête ; une force inéluctable le chassait vers cet écueil, qui a dû éventrer plus d’une carène. Les passagers appelèrent à grands cris saint George, le grand martyr et le porte-victoire. Soudain une figure bien connue resplendit sur cette roche dans son armure divine, et miraculeusement la tempête s’apaisa. On trouva sur la pierre une icône : le saint avait laissé son portrait. Les Grecs la prirent, montèrent à l’église remercier leur libérateur, et en mémoire de lui fondèrent ce monastère. L’image n’est plus ici ; après bien des vicissitudes, il parait qu’elle est passée chez les Grecs de Marioupol. Cependant le monastère existe toujours ; il est entretenu par la couronne, est pensionnaire de l’état, avec 3,000 roubles de revenus et un millier d’hectares à prendre sur le désert. Tout compris, il n’a guère qu’une douzaine d’habitans. Une eau limpide sort du rocher au-dessous du couvent et contribue sans doute à entretenir la verdure de ces jardins suspendus. Sa fraîcheur me tentait, mais j’hésitais à en boire. « Buvez, me dit mon guide, jamais elle ne fait de mal, elle est miraculeuse ! » Sur le couvercle d’un puits, je vis des boulets et des biscaïens : ils nous ramenèrent à la guerre d’Orient. Le brave moine, encore plein des souvenirs d’alors, ne parlait qu’avec colère des Turcs. Ils avaient tiré sur le monastère et commis toute sorte d’excès ; au contraire les Français les avaient chassés, avaient protégé les moines. L’état-major était installé au couvent, mais laissait aux religieux et aux familles réfugiées leurs cellules. On avait pu continuer le service divin : c’étaient les Français eux-mêmes qui procuraient l’encens, le vin et la fleur de froment. Si les chefs entraient dans l’église, ils se tenaient debout, comme les orthodoxes, dans une attitude respectueuse. Un jour, Omer-Pacha voulut y entrer aussi : les Français ne le laissèrent passer, à ce qu’on raconte, que s’il consentait à retirer son fez. Le vieux moine se souvenait de Pélissier : « un peu vif, disait-il, mais point méchant. » J’étais au mieux avec mon nouvel ami ; il me fut impossible de quitter le couvent sans avoir visité sa cellule, — bien simple et bien modeste, mais quelle admirable vue de la petite fenêtre !

Sur la mer qui se gonflait à l’horizon comme un grand bouclier d’or bruni, se brisaient, en reflets éblouissans, les rayons du soleil couchant. Il fallait se hâter, si je voulais arriver à