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daterait, suivant lui, de l’empereur Trajan, et d’où serait peut-être sorti plus d’un monument de la Rome antonine. Quand on quitte le monastère et qu’on traverse la vallée pour monter au Sapoun-Gora, on se trouve sur le chemin que suivirent les colonnes du général Pavlof quand elles escaladèrent ces pentes broussailleuses pour surprendre les Anglais. Sur les hauteurs sont encore visibles les tranchées, les batteries qui foudroyèrent les assaillans. Si l’on arrive enfin sur le plateau, à l’endroit où se donna le premier choc, on peut lire sur le « monument d’Inkermann, » en anglais et en russe, cette noble inscription, qui semble réconcilier tous les combattans dans une gloire commune : « à la mémoire des Anglais, des Français et des Russes qui succombèrent dans la bataille d’Inkermann le 5 novembre 1854. »


III. — MALAKOF ET LE BASTION DU MAT. — LES CIMETIERES.

Pour visiter les autres environs de Sébastopol, ce qu’il y a encore de plus simple, c’est de prendre un isvochtchik, c’est-à-dire un cocher de drojki. Ce véhicule, dans la Russie méridionale, est traîné par deux chevaux, dont l’un est attelé en limonier, et l’autre, attaché simplement à côté du premier, peut bondir, caracoler et galoper à sa fantaisie. Cette liberté d’allure est nécessaire ici. Comme la route est souvent étroite et inégale, il faut que le cheval de côté puisse sauter sur les talus, descendre sur les revers et se frayer son chemin comme il l’entend. La première visite est naturellement pour le bastion Malakof. On le distingue de loin à une maisonnette blanche qui est celle du gardien. Quand on arrive à Sébastopol, on s’attend ordinairement à voir de vrais bastions, des remparts de maçonnerie, des embrasures, des meurtrières, que sais-je ? des créneaux, peut-être ; mais, si vous demandez Malakof ou le Grand-Redan, on vous montre des espèces de collines allongées, qui se distinguent à peine des hauteurs environnantes. Comme il n’y a plus ni parapets, ni gabionnades, vous pourriez chercher longtemps les fortifications de Sébastopol. Heureusement mon isvochtchik avait vu et se souvenait. Il avait été marin à l’époque du siège, et on voyait qu’il avait l’habitude de faire le cicérone. Il ne se considérait pas comme un cocher ordinaire. « Tel autre, disait-il parfois, vous conduirait bien là-bas pour 4 ou 5 roubles ; mais il ne saurait rien vous dire, ou, s’il vous dit quelque chose, comptez que ce sont des sottises. Faudrait voir s’ils ont servi ! »

Nous contournons la baie du Sud, nous arrivons à l’extrémité de la Karabelnaïa, derrière les docks, et nous voilà au pied de Malakof. Des maisons qui étaient sous sa protection immédiate, il n’est pas resté pierre sur pierre. Là il faut monter à pied un sentier, assez