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avertissemens dont mon âge et l’état de ma santé ne me permettent point de méconnaître la gravité. Le sage, dit La Fontaine, est toujours prêt à partir. Je veux tâcher d’être sage et tâcher d’être prêt. »

Il faut un grand effort pourtant pour s’arracher à l’engrenage des grandes affaires ; tout invitait van de Weyer au repos, sa santé ébranlée, l’extrême douceur de sa vie domestique, la tristesse causée par la mort accidentelle d’une fille chérie, la beauté de sa retraite des champs, le plaisir mélancolique qu’on éprouve au déclin de la vie parmi les livres, qui rendent par instans les émotions, les ardeurs, les illusions de la jeunesse ; mais la politique le retenait encore, il était comme ces gens qui du bord de la mer regardent venir la marée montante et ne peuvent se détacher de ce spectacle : après la vague qui vient en hurlant expirer sur le bord, une autre avance, puis une autre plus haute. Après la bataille de Sadowa, la Belgique apprit que le gouvernement impérial demandait des compensations territoriales comme récompense de sa neutralité. M. de La Valette, dans une circulaire fameuse (du 16 septembre 1866), sembla prononcer l’arrêt de mort des petits états au profit des grandes agglomérations. « On fait de nous un appât, me disait van de Weyer à cette époque, on nous offre tous les jours. » Quand, au commencement de 1867, l’empereur des Français négocia avec le roi des Pays-Bas la cession du Luxembourg, la Prusse saisit immédiatement l’Europe de la question, et la guerre parut un moment imminente. On put regretter alors que le Luxembourg eût été coupé en deux par la conférence de Londres et n’eût pas été neutralisé dès 1839 ; la France se contenta de la solution suggérée par M. de Beust : l’autonomie et la neutralité de ce qui restait du duché, avec le démantèlement de la place.

Van de Weyer venait d’obtenir enfin de son souverain la permission de rentrer dans la vie privée. Il avait représenté la Belgique à Londres pendant trente-six ans presque sans interruption ; une fois seulement il avait été rappelé à Bruxelles pour former un ministère de conciliation entre les catholiques et les libéraux ; mais ce cabinet n’avait eu qu’une existence éphémère. C’est du fond de son repos, si bien mérité, qu’il vit grossir l’orage qui allait éclater sur l’Europe. Mieux que personne, il connaissait les dispositions de la cour de Berlin, il savait que toutes les forces de l’Allemagne étaient tendues par la haine, la terreur et l’ambition ; il avait deviné que cette voix qui depuis si longtemps criait à Napoléon III : « Marche, marche ! » le précipiterait enfin sur la Germanie. Au moment même où le rideau se levait sur le grand drame militaire de 1870, le journal le Times publia un projet de traité secret, déjà ancien de quatre ans. Dans ce projet, la France livrait l’Allemagne à la Prusse