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naissante du gouffre diplomatique où elle s’embourbait. Il n’était pas de ces hommes qui portent la responsabilité comme un fétu et qui ne ressentent jamais les troubles et les remuemens de la conscience : il avait le sentiment le plus vif de ses devoirs, le souci de son pays, de son propre renom, mais il avait aussi éminemment ce qu’on pourrait appeler le courage des crises, vertu politique sans laquelle il n’y a point d’homme d’état digne de ce nom. Lord Palmerston écrivit au roi que, si van de Weyer n’avait accepté la ratification russe, il eût été inexcusable.

Van de Weyer arriva à Bruxelles le 16 mai 1832, il ne fit aucune visite aux ministres, mais le 21 mai il lut en leur présence un « mémoire au roi en son conseil ; » il finissait ainsi : « Je réitère l’assurance que je m’imposerai le sacrifice du silence vis-à-vis du public. Je ne constituerai point la Belgique et l’Europe juges entre la chambre, le ministère et moi : je déplorerai en secret la fatale précipitation que l’on a mise à discuter ces négociations diplomatiques aux chambres et les paroles imprudentes que l’on y a proférées ; mais la royale approbation de votre majesté viendra, j’espère, adoucir ce que j’éprouve de sentimens pénibles et douloureux. » Il offrit sa démission au roi ; Léopold, qui se connaissait en hommes, n’eut garde de l’accepter ; pour donner une satisfaction à l’opinion, il lui demanda simplement de lui adjoindre quelque temps le général Goblet comme plénipotentiaire auprès de la conférence. Quand, peu de temps après, le roi partit pour la France, où il allait épouser la princesse Louise d’Orléans, il dit à van de Weyer : « Vous recevrez une réparation publique. Vous m’accompagnerez à Compiègne. On verra bien ainsi que vous avez toute ma confiance. » Ils firent le voyage dans la même voiture ; à Compiègne, van de Weyer fut accueilli avec la plus grande bonté. Il n’y perdit pas son temps, et il eut avec Louis-Philippe des entretiens importans sur les travaux de la conférence. Il se plaint un peu des ministres dans ses lettres de Compiègne, mais « le roi Louis-Philippe s’est conduit avec une franchise, une droiture, une loyauté parfaites (lettre du 9 août). » Il repartit directement de Compiègne pour Londres, où il reprit ses fonctions.

Après le traité des vingt-quatre articles, que restait-il à faire pour mettre fin à toutes les difficultés qui tenaient l’Europe en suspens ? Il fallait amener un arrangement de gré à gré et définitif entre la Hollande et la Belgique. Celle-ci exigeait avant d’entamer une négociation directe l’évacuation d’Anvers et de tout le territoire assigné par la conférence au nouveau royaume. Le roi Guillaume se déclarait prêt à traiter, il fit retentir toute l’Europe de son violent désir de négocier ; la conférence, lassée, finit par se plaindre