Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

punissaient d’avoir été surprise et battue, d’avoir été secourue par la France. Ils ne lui laissaient que la moitié du Luxembourg, ils lui enlevaient la partie du Limbourg qui est sur la rive droite de la Meuse, et laissaient ainsi sa frontière orientale toujours menacée par la Hollande.

La Belgique ne porta pas seule le poids de la mauvaise humeur de l’Europe, la France en eut sa part : les places de Menin, d’Ath, de Mons, de Philippeville et de Marienbourg devaient être démantelées ; mais la conférence ne voulut pas que la question des forteresses devînt l’objet d’une négociation directe entre la France et la Belgique. L’Angleterre, la Prusse, l’Autriche et la Russie négocièrent avec le représentant de la Belgique, sans admettre la France à la négociation. L’irritation du roi Louis-Philippe fut très vive quand il apprit qu’on avait signé la convention des forteresses. « Vous ne ratifierez point, écrivit-il au roi Léopold, la convention que votre plénipotentiaire s’est permis de signer et que nous tenons comme contraire à vos engagemens. » M. de Talleyrand menaça un moment de ne point ratifier le traité du 15 novembre. Cette colère passa vite ; le démantèlement des forteresses était une réalité qui devait survivre aux émotions d’un jour. Dans toute négociation, il y a pour ainsi dire des sommets sur lesquels l’œil de l’homme d’état reste attaché : le roi Léopold et le roi Louis-Philippe, à travers mille difficultés, se guidaient vers ces sommets ; la France ne pouvait pas rester insensible aux mauvais procédés de l’Europe, mais elle ne prétendit jamais faire acheter trop cher à la Belgique les services qu’elle lui rendait. Van de Weyer sentait plus vivement qu’aucun autre combien le terrain sur lequel il était obligé de se mouvoir était encore peu solide. Il savait que la générosité de la France se lasserait moins aisément que l’appui froid, impérieux et souvent hésitant de la conférence. La Russie, après avoir signé le traité des dix-huit articles, fit attendre longtemps sa ratification, et ne la donna enfin au bout de six mois, le 4 mai 1832, que sous certaines réserves.

Nous touchons ici au tournant le plus difficile de la carrière de van de Weyer. Il s’épuisait depuis six mois à ramener l’opinion incertaine du côté de la Belgique. Il avait écrit à lord Aberdeen une lettre qui est un chef-d’œuvre de style, et où l’on sent passer la flamme du patriotisme. « Croyez-moi, disait-il éloquemment, lorsque les partis, leurs luttes envenimées, leurs misérables querelles, seront plongés dans un profond oubli, lorsque tout ce que l’orgueil aristocratique peut créer de plus pompeux ne sera que cendre et poussière, alors la postérité recueillera les noms de ceux qui auront contribué à l’indépendance. Ce n’est pas un honneur médiocre que d’attacher sa signature à l’acte de renaissance politique d’une