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sortie des limbes diplomatiques et devenue publique. Ses vœux allaient être comblés, car la conférence, pour ménager l’amour-propre de la France et tout en prenant acte dans la séance du 7 février de la promesse du roi Louis-Philippe, prononça l’exclusion du duc, de Leuchtenberg ; mais qu’allaient devenir la souveraineté embryonnaire de la Belgique et l’indépendance de son congrès national ? On lui défendait et le roi qu’elle avait choisi et celui qu’elle n’avait pas choisi. La députation du congrès, qui croyait apporter une couronne à la France, s’étonnait qu’on lui fît faire antichambre ; arrivée à Paris le 6 février, elle ne fut reçue du roi que le 17, et apprit de sa bouche que le duc de Nemours ne régnerait pas sur la Belgique.

Van de Weyer avait de sombres pressentimens. « L’inquiétude est générale, écrivait-il à M. de Brouckère, un membre de la députation. Le refus de la France aura les plus tristes conséquences. Notre position est affreuse. Nous tiendrons tête à l’orage, mais comment faire face aux dépenses ? Nos caisses sont vides… Les contributions ne se paieront pas, si la Belgique reste sans roi… L’orangisme fait des progrès. Les fonds sont tombés à 39. »

L’opinion publique se tourna presque avec violence contre van de Weyer. On l’accusa d’avoir imprudemment promis le consentement de la France, d’avoir ajouté trop de créance à des agens maladroits, d’avoir compromis la dignité du congrès. Il laissa passer l’orage ; il était de ceux qui ne comptent qu’avec leur conscience. Il ne se rebuta point, et resta pénétré de la nécessité de chercher et de trouver immédiatement un roi. Sur sa proposition, on nomma une régence pour bien indiquer que le trône était seulement vide, et pour montrer à l’Europe que la Belgique était pressée d’en finir avec le gouvernement provisoire. M. Surlet de Chokier fut nommé régent, et van de Weyer, appelé comme ministre des affaires étrangères dans son premier cabinet, décela, par ses premiers actes, la vigueur de son caractère. Il rappela de Paris M. de Celles, son ami personnel, parce que l’optimisme confiant de cet envoyé avait contribué à égarer le congrès sur les intentions du gouvernement français. Il fit expulser dans les vingt-quatre heures un ancien diplomate russe, M. de Krudener, qui se mêlait aux intrigues orangistes. Il lutta dans le conseil contre M. de Brouckère, qui persistait à penser que la Belgique ne pouvait se sauver qu’en se jetant dans les bras de la France. Les sympathies du régent lui-même étaient notoirement françaises. Van de Weyer n’attachait plus autant le fil de ses espérances à la France qu’à l’Angleterre et à la conférence ; il ne désespérait pas d’en obtenir un roi. La révolution belge avait été une entreprise bien audacieuse, et pourtant l’Europe commençait à s’habituer à l’idée d’une Belgique indépendante. Dans le jeu des affaires humaines, il faut porter les