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M. de Talleyrand avait dépecé trop de royaumes et d’empires dans sa vie pour en avoir perdu tout à fait l’habitude. Tant de prodigieux changemens, où la fortune avait toujours mis sa main, pouvaient faire excuser un peu de scepticisme. La petite Belgique ne lui semblait guère qu’un enjeu, et l’idée du partage des anciens Pays-Bas autrichiens s’était plus d’une fois présentée à son esprit.

Chaque cour avait ses visées et ses craintes secrètes : le roi Guillaume profitait de ces divisions, les entretenait avec soin ; la conférence avait le 20 décembre déclaré que le royaume des Pays-Bas était dissous, mais elle avait eu soin d’ajouter que « les nouveaux arrangemens ne pouvaient affecter en rien les droits que le roi des Pays-Bas et la confédération germanique exerçaient sur le duché de Luxembourg. » Le congrès national, le jour même où il avait proclamé l’indépendance de la Belgique, avait eu soin de faire une réserve pour les relations du Luxembourg avec la confédération. Cette question du Luxembourg était au fond de toutes les difficultés. La Belgique voulait garder tout le duché, et l’acheter au besoin par une limitation de sa souveraineté. M. de Talleyrand et Sébastiani désiraient obtenir quelque chose pour la France, surtout si l’Europe empêchait les Belges de prendre un prince français pour souverain. L’Allemagne prétendait tenir le Luxembourg dans les liens de la confédération germanique. Lord Palmerston ne voulait ni d’un accroissement de territoire pour la France, ni d’un roi des Belges français ; quand ces éventualités semblaient prendre un corps, il se laissait tomber du côté de la maison de Nassau ; sitôt qu’elles s’éloignaient, il s’échauffait pour la cause d’une Belgique, qu’il entendait soustraire à toute influence française.

Van de Weyer repartit pour Londres le 1er janvier 1831 avec M. Vilain XIIII. Jamais tâche ne fut plus difficile : il fallait obtenir un roi de l’Europe et de bonnes frontières pour le nouveau royaume, ménager toutes les cours, se défendre contre la Hollande, passer habilement du rôle de ministre d’une révolution à celui d’un représentant de l’ordre européen. Van de Weyer était à la hauteur de cette tâche. Il ne fut pas long à pénétrer les sentimens du cabinet whig. Il écrivait après son arrivée au comte de Celles : « Tout ce que nous avons pu recueillir depuis deux jours se résume dans ces quelques mots : l’Angleterre veut que la Belgique soit non-seulement indépendante, mais forte, mais heureuse. C’est, à ses yeux, le seul moyen d’empêcher qu’elle devienne française. En partant de là, il y aura moyen d’amener nos affaires à bonne fin, même pour le Luxembourg ; mais aussi je suis plus convaincu que jamais que la question du chef de l’état est la première qu’il faille aborder et décider. Tout est là. » Il ajoutait que sans doute la France était intéressée à ce que la Belgique ne devînt pas trop forte et ne