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l’armistice, van de Weyer convainquit ses collègues que l’armistice n’avait que des avantages pour la Belgique, que tout serait perdu, si l’on bravait les grandes puissances. L’acte signé, il offrit sa démission ; M. Gendebien le pria lui-même de la retirer. Van de Weyer avait besoin d’autorité morale, car jamais rôle ne fut plus difficile que le sien. D’un côté, une conférence prétendait régler les destinées de la Belgique ; de l’autre, un congrès national prenait ses résolutions ou semblait les prendre en toute souveraineté : il fallait doucement, sans secousses, incliner ces volontés d’origine si diverse à des décisions communes, ménager la fierté des cours et celle du peuple belge, fermer la bouche aux impatiences, aux colères les plus légitimes, conquérir la liberté par la soumission, l’indépendance par une sorte d’équilibre de dépendances.

Sur un point seulement l’accord était facile : ni la conférence ni le congrès ne voulaient la république. M. de Potter, le seul membre du gouvernement provisoire qui fût républicain, avait perdu toute popularité. Il avait, le 10 novembre, prononcé le discours d’ouverture du congrès, puis s’était séparé avec éclat de ses collègues en refusant de s’associer à l’acte par lequel le gouvernement provisoire remettait ses pouvoirs à l’assemblée. Il avait eu les plus pénibles discussions avec M. de Mérode et van de Weyer. Il avait voulu occuper le premier rang au lieu de jouer le premier rôle, et il fut douloureusement surpris que l’acclamation populaire ne le portât pas à la présidence d’une république. Il se laissa choir du gouvernement dans l’opposition la plus haineuse, attaqua ses collègues de la veille, et mérita que van de Weyer lui écrivît ces rudes paroles : « vous le savez, je vous ai pendant deux ans et plus sacrifié mon repos, mon temps, ma santé, mon argent, et je le faisais avec joie, de cœur, parce que je vous croyais ami sincère et patriote dévoué ; mais aujourd’hui que vous avez pris le soin de me désabuser, que vous vous êtes montré aussi mauvais ami que mauvais citoyen, je ne vous dois plus ni conseils ni avertissemens. »

De Potter appartenait à cette classe nombreuse d’hommes qui font de la politique avec les mots, qui sacrifient les intérêts des nations à une vanité avide, inquiète et sans merci. Que serait devenue la Belgique, si elle eût pris Potter pour guide, si elle avait livré sa frêle fortune à tous les orages du gouvernement républicain ? Ses vertus publiques ne l’en rendaient pas indigne, mais elle tenait assez à ses libertés pour ne point les mettre en péril, et elle pensa avec raison qu’elles seraient moins protégées par un mot qui épouvantait l’Europe que par l’institution monarchique, réduite au rôle d’arbitre entre les partis et satisfaite de représenter l’unité nationale. Potter est oublié, son nom est descendu dans l’histoire comme une pierre va au fond de l’eau, et l’on se souvient à peine