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maison de ville de Bruxelles. Il se trouva que, sur 1,323 notables présens aux réunions d’arrondissement, 527 avaient voté pour la nouvelle loi fondamentale qui créait le royaume des Pays-Bas, et qui reconnaissait comme roi le prince d’Orange ; 796 votaient contre ; le tout se trouvait par conséquent rejeté. » La gravité de ce vote échappa aux diplomates occupés alors à régler les affaires du monde entier : qu’étaient ces notables si inconnus, consultés pour la forme ? leur appartenait-il de déranger les plans conçus dans l’olympe des souverains ? La Belgique était nécessaire à ce royaume dont on voulait faire l’avant-mur de l’Europe contre la France. Y avait-il seulement une nation belge ? Si elle existait, ne fallait-il pas la punir de s’être si tôt et si complètement livrée à la France révolutionnaire ? Dans les états-généraux de la Hollande, on avait obtenu d’ailleurs l’unanimité pour l’acceptation du nouvel acte fondamental, et parmi les 769 notables belges opposans 126 avaient formellement déclaré que leur vote n’était motivé que par les articles relatifs au culte. Il semblait donc qu’une grande partie au moins des Belges luttaient moins contre la réunion des deux pays qu’en faveur des intérêts de la religion catholique. On se tira d’affaire en ajoutant les voix hollandaises aux voix belges ; le roi Guillaume déclara qu’il ne pouvait plus y avoir de doute sur les sentimens et les vœux de la grande majorité de tous ses sujets, et menaça de la rigueur des lois ceux qui oseraient dorénavant révoquer en doute la force obligatoire de la constitution.

Van de Weyer s’indigne contre l’arithmétique du roi Guillaume, « le calculateur le plus habile de l’Europe, » et traite de comédie, de parade, cette convocation et ce vote des notables. On serait moins sévère aujourd’hui : dans des circonstances pareilles, on se passerait peut-être tout à fait de notables, sinon de constitution. La Belgique n’était pas en état de résister aux volontés de l’Europe. L’œuvre des souverains alliés n’en était pas moins aussi hardie qu’imprudente. Si les deux nations, dont l’histoire était restée séparée depuis la fin du XVIe siècle, arrivaient à se fondre entièrement malgré la différence des langues et des religions, un souverain français, s’inspirant des idées d’Henri IV et de Richelieu, pouvait réussir un jour à entraîner dans son alliance le royaume nouveau. Un œil profond pouvait dès ce moment apercevoir dans l’avenir cette grande Allemagne qui commençait seulement à avoir conscience d’elle-même ; et qui pouvait assurer que l’ouvrage fait contre la France ne pouvait pas devenir un jour son boulevard ? Si au contraire la fusion des Pays-Bas ne pouvait s’opérer, l’Europe avait inutilement affaibli la Hollande, elle laissait accumuler sur nos frontières des haines qui pouvaient s’allier à nos ressentimens, elle nous offrait une proie en croyant nous opposer une menace. Il