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refaire une nouvelle Europe, d’étouffer au cœur des Hollandais les regrets et la fidélité qui, après tant de jours de malheurs, les ramenaient à l’illustre maison de Nassau. Dès 1813, ses amis formaient des sociétés secrètes en Hollande ; à la première approche des alliés, la population de La Haye se souleva : M. de Styrum arbora la cocarde jaune et organisa un gouvernement provisoire. Les anciens ennemis du stathouder, quelques-uns de ceux qui avaient naguère prononcé sa déchéance, s’unirent aux vieux orangistes. Le 30 novembre 1813, le prince d’Orange arriva sur un navire de guerre anglais ; il signa ses premières proclamations : « Guillaume, par la grâce de Dieu, prince d’Orange-Nassau. » C’était déjà parler en souverain. Les commissaires du gouvernement provisoire rédigèrent une proclamation où ils disaient au peuple : « L’incertitude qui existait autrefois concernant le pouvoir exécutif ne paralysera plus vos efforts ; ce n’est point Guillaume VI que la nation rappelle, sans savoir à quoi s’attendre et quel espoir fonder sur lui ; c’est Guillaume Ier qui se présente comme souverain, conformément aux vœux de ce même peuple qu’un autre Guillaume Ier a délivré autrefois du joug honteux de l’étranger. » Van de Weyer nous semble un peu sévère pour ces faiseurs de roi, dont la plupart, il est vrai, avaient prêté tous les sermens exigés par la révolution et par l’empire, notamment le serment de haine éternelle contre l’exécrable maison d’Orange (exigé en 1795 de tous les magistrats et de tous les ministres du culte). On assembla des notables, on leur soumit un projet de constitution : sur 475 votans, il n’y eut que 26 voix négatives, et le lendemain 30 mars 1814 la constitution des Provinces-Unies, transformées en monarchie au profit de la maison d’Orange, fut promulguée. « Quand le héraut d’armes, qui avait proclamé tour à tour la convention batave de 1795, et le directoire exécutif, et le conseiller-pensionnaire Schimmelpenninck, et le roi Louis et le grand Napoléon, proclama trois fois Guillaume Ier, prince souverain des Pays-Bas, aucun applaudissement ne lui répondit… » Van de Weyer rappelle à ce propos la scène de Shakspeare où Buckingham raconte à Richard III ce qu’il vient de tenter pour le faire proclamer roi. « Quand je me suis trouvé à bout d’éloquence, j’ai prié les citoyens, pour peu qu’ils fussent amis de leur pays, de crier : Vive Richard, le noble roi d’Angleterre ! — Et l’ont-ils fait ? — Non, que Dieu me garde ! Ils n’ont pas dit un mot ; mais, comme des statues muettes ou des pierres qui ne respirent pas, ils se regardaient fixement, pâles comme des morts. » La Hollande, maîtresse absolue de ses destinées, eût encore bien fait de rendre le pouvoir exécutif aux descendans des stathouders.

« Sans aucun doute, disait lord Aberdeen le 26 janvier 1832 à la chambre des lords, la Hollande eût volontiers consenti à reprendre