Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

catholique avait couvert de ses merveilles les grandes plaines ouvertes qui s’étendent entre la Meuse et la mer. Ces dernières provinces devaient retomber sous le joug ; elles s’endormirent longtemps sous la douce autorité des gouverneurs autrichiens. Ce pays presque sans nom, sans gloire, constant enjeu de batailles, dot portée de famille en famille, gardait pourtant une sorte de conscience obscure et persistante de ses droits : il conservait des franchises communales et provinciales ; le vieil esprit des Flandres avait de temps à autre des réveils terribles. Orange avait été plus heureux qu’Egmont et que Horn ; mais le sang de ces grands martyrs n’avait pas coulé en vain, et leur souvenir restait toujours cher à la nation.

Les réformes de Joseph II avaient failli soulever la Belgique ; quand la révolution française éclata, on chassa les troupes impériales, on prononça la déchéance de l’empereur ; les Pays-Bas autrichiens formèrent une confédération républicaine et demandèrent la protection de la France. L’heure de la véritable indépendance n’avait pourtant pas encore sonné. Une nuée de jacobins se répandit en Belgique, y porta les clubs, les assignats, la confiscation ; les églises furent profanées. Dumouriez dénonça en vain ces stupides excès. Perdue après Neerwinde, la Belgique fut reconquise après Fleurus ; mais ce n’était plus une terre libre ; elle perdit jusqu’au nom de ses provinces et fut dépecée en départemens comme la France, comme un peu plus tard la Hollande le fut à son tour. Les anciens Pays-Bas se trouvaient ainsi confondus dans la servitude ; quand Napoléon tomba, les rois alliés ne voulurent point dissoudre ce mariage ; il fut décidé qu’un seul état serait formé de deux contrées et que la nature semblait avoir destinées à cette réunion. »

A qui pouvait-on offrir la souveraineté de ce nouvel état ? Le droit de conquête ne peut effacer les traditions et les souvenirs. Il n’y avait qu’un prince dont le nom fût associé à celui des Pays-Bas ; la fortune de sa maison avait toujours grandi et s’était toujours éclipsée en même temps que celle des Provinces-Unies : c’était l’héritier des stathouders, le prince d’Orange.

Van de Weyer a raconté dans de grands détails le réveil du parti orangiste à la fin de l’empire ; on trouvera ce récit dans une lettre écrite en 1832 à lord Aberdeen et imprimée en brochure sous le pseudonyme de Victor de La Marre (une traduction du nom de van de Weyer). On sait peu ce qui se passa loin du théâtre où marchait Napoléon en personne, les sourdes émotions des peuples longtemps écrasés, les incidens obscurs qui préparaient les grandes catastrophes. Ces faits oubliés montrent pourtant qu’on ne trompe pas longtemps l’histoire ; il ne dépendait ni de quelques jacobins qui après avoir proclamé la république batave avaient rempli les antichambres du roi Louis et de Napoléon, ni des souverains qui voulaient